Liège surprises : la fois où on a écrit un livre


Ni péridurale, ni césarienne, et pourtant, ça y est: on tient notre bébé.
300 grammes, 18 centimètres de haut, et 3 géniteurs, c’est un bébé pas comme les autres.
D’ailleurs, on dirait bien qu’il est magique tant on a mis de l’amour à écrire ses 100 rubriques. Des coups de cœur, des endroits secrets, nos adresses préférées : ce livre contient un peu de nous trois, et surtout, de l’âme de Liège, ce grain de folie qui fait qu’on l’aime, parfois elle nous énerve, mais on ne peut jamais vraiment la quitter. Forcément, comme des jeunes parents, on est heureux, on est fiers, et même sans césarienne, on a un peu mal au ventre aussi : est-ce que notre livre va vous plaire ? Pour vous aider à mieux le comprendre, on vous emmène en coulisses du processus créatif : récit en trois temps et à 6 main d’une expérience hors du commun.

Bisous, et bonne lecture,

KathClem et Jules



I. AVANT

Kath & Clem : Octobre 2015. Un dimanche de Batte gris et pluvieux, rendu délicieux par la promesse du traditionnel poulet rôti dominical. Succulente surprise sur le chemin du retour: Pax est ouvert. Et si on en profitait pour trouver l'un ou l'autre trésor à lire l'après-midi, loin de la pluie, blottis sur le canapé ? Voire mieux: si on en profitait pour scruter tous les livres sur Liège et se prendre à en imaginer un écrit de notre plume? Un qui emmènerait les curieux à la découverte de la ville, loin des sentiers battus, si loin que les Liégeois pourraient en profiter aussi pour découvrir des coins secrets et des pépites. Le genre de livre qu'on voudrait pouvoir lire, exposer fièrement dans notre bibliothèque, offrir.

Après plusieurs salves d’encouragements et un tour d’horizon du monde belge de l’édition, les premiers mails sont envoyés. De vraies bouteilles à la mer. On se sent tout démunis. Heureusement, les premières réponses ne tardent pas et, miracle, un éditeur semble même intéressé. C’est dingue, on va écrire un livre !
Echange de mails, réunions, envoi de maquette, re-réunion, re-échange de mails. Hélas, c’est une fausse piste. Si on reste plus que jamais motivé, ça ne semble plus le cas de notre éditeur, qui se rétracte sans oser nous l’avouer. Nous voilà donc redevenus plumes esseulées.

Jules : Pas mal désabusée par ce projet avorté, je tire pour le moment un trait sur l’idée de publier. Bien qu’en étant restée au stade de la maquette, l’expérience est chronophage et on est tous pas mal occupés sur le côté –sinon, c’est pas drôle, hein. Pourtant, dès les tout premiers balbutiements de Boulettes à la liégeoise, sortir un jour une version papier est un de nos objectifs (in)avoués, à Kath et moi. Amoureuses des bouquins et des jolies objets, depuis nos brainstormings frénétiques lors de la création du webzine en octobre 2014, l’idée fait son chemin dans nos têtes frangées.

Boulettes, c’est pas mal de fierté grâce aux retours chaleureux, aux rencontres et aux jolies découvertes. Mais c’est aussi beaucoup de boulot, parfois franchement insoupçonné. Et c’est d’ailleurs lorsque je m’affairais à faire tourner la boutique derrière mon écran, tandis que Kath et Clem étaient en vadrouille, que plusieurs messages inespérés sont arrivés. On ne s’y attendait plus et ça y est : nous voilà recontactés. Et pas par la plus nulle des maisons d’éditions, qui plus est. Les guides Mardaga, tu sais, ceux aussi jolis qu’inédits, avec de vrais coups de cœur de locaux dedans. Entre Paris, Lisbonne ou Berlin, il y aurait notre toute petite Cité Ardente –et même que c’est nous qui allions le créer.

Clem :
Fin Janvier 2017. De retour d’une semaine de vacances au bord de la Mer des Wadden, nous atterrissons un peu par hasard au Princenhof de Groningen – les délices de la réservation sur booking. Patrimoine et élégance sont de la partie dans ce palais presque millénaire, où se sont succédés évêques, gouverneurs de province et, plus récemment, la Princesse Maxima.
Rendu un peu groggy par tant de luxe, je m’autorise une petite sieste, pour me faire réveiller cinq minutes plus tard par Kath qui s’époumone : « Clem, Clem, c’est trop bien ! Tu vois la maison d’édition qui fait les super beaux livres qu’on avait contactée y’a un an ? Eh ben, ils nous ont répondu et ils sont super intéressés. Mais, Clem, tu dors ou quoi ? Tu te rends pas compte, c’est troooooooop bien ! ». Assurément, les vacances touchent à leur fin, mais quelle rentrée !

Kath : D'ailleurs, à peine rentrés pour de vrai, cap sur Bruxelles. Une journée un peu folle, où je commence à écrire pour Paris Match, avant de filer rejoindre Clem pour rencontrer celles qui vont devenir nos éditrices. Les sourires fusent dans tous les sens, les idées aussi, on trinque au jus, on écourte un peu la réunion pour vite vite vite appeler Jules... Putain, c'est dingue, on va écrire un livre.



II. PENDANT

Jules : La course contre la montre est enclenchée, et c’est rien de le dire. Très peu de temps, beaucoup de boulot et une sélection drôlement complexe à effectuer. C’est que réunir 500 adresses liégeoises, c’est à la fois facile et très, très compliqué. On se demande ce qu’on veut y voir, ce que d’autres voudront  y découvrir aussi, on se renseigne autour de nous vu que tout le monde n’a pas les mêmes centres d’intérêts, on se plie aux contraintes, on ajoute, on supprime, on modifie, dans ce qui nous semble parfois être une boucle à l’infini.

On fait un pas en avant et puis trois en arrière, puis on recommence ; honnêtement, ce n’est pas de tout repos. Mais la satisfaction commence tout doucement à arriver lorsque le projet prend forme –surtout lorsque la maquette s’agrémente des super photos de Charly, précipitée d’emblée pour être notre photographe attitrée. Pressée par les deadlines, je l’emmène aux quatre coins de la ville pour capturer les images de notre futur bébé de papier : elle aussi aura bien mérité de trinquer lorsqu’il sera publié.

Clem : choisir les adresses, vérifier les coordonnées, se rendre sur place … rien qu’élaborer le listing prend un temps fou. Et il faut encore écrire les vignettes. A ce stade, je ne vois pas bien comment tenir la deadline. Pour ne pas devenir fou, je me concentre sur des petites tâches, histoire d’avancer pas à pas dans ce grand maelstrom. Dans la cuisine, les bols d’Aïki Thaï Chiken s’empilent inlassablement, tandis que le frigo reste désespérément vide. Ah oui, pour ne rien arranger, en parallèle, j’écris la conclusion de ma thèse de doctorat. Etudiant un jour, étudiant toujours.

Kath : Dans ma tête de lectrice compulsive, amoureuse éternelle des livres, les auteurs sont des personnages un peu mythiques, intelligents, originaux et chics. Ils écrivent assis à leur secrétaire antique en bois ciré, dans un bureau qui mêle avec goût bibliothèque bourrée à craquer, cabinet de curiosités et baie vitrée. Dans ma réalité d'auteur (presque) publié, j'erre en tribande Adidas, travaillant avec ardeur ma scoliose en m'asseyant n'importe comment sur ma chaise, me nourrissant exclusivement de sachets de ramen et couronnant le tout d'un pompon de cheveux à la propreté douteuse. Virginia Loose ou George Sale, je n'ai pas encore choisi mon nom de plume mais les options ne manquent pas.




III. APRÈS 

Jules : C’est comme à l’école : une fois le travail terminé, emballé c’est pesé, je ne veux plus y penser sous peine de réfléchir à 1894903 choses à améliorer. Eternelle perfectionniste à ascendant insatisfaite chronique, je sais d’emblée qu’il y en a, des petits détails qu’on pourrait (encore) changer. On est contents, mais un peu apeurés aussi : et s’il ne plaisait pas ? Et si on récoltait une flopée de commentaires négatifs de Jean-Michel Hater sur Amazon ? Et si, et si ?
On ne peut pas plaire à tout le monde et ça, on le sait déjà. Mais on y a mis du cœur (et pas mal de sueur), en redécouvrant au passage notre Cité Ardente qu’on aime, et qu’on déteste parfois, aussi –ce qui était déjà une sacrée aventure en soi.

Et puis un jour, le facteur apporte un (énorme) colis que je peine à déballer. Des dizaines de couvertures sur lesquelles rayonnent la déco parfaite du bar Volga apparaissent : ça y est, il est là, tout cartonné, tout coloré, encore plus joli imprimé. Nos 500 coups de cœurs reliés.

Clem : Moment émotion. J’ai sous les yeux le coli poste qui contient les précieux sésames qui nous sont destinés. Roulements de tambours imaginaires, j’ouvre la boite. Le livre est enfin là. Il est magnifique ! C’est fou comme il ressemble à sa mère. C’est vrai, on a du un peu mordre sur notre chique, mais qu’est-ce qu’on est contents. J’espère qu’il rentre dans la poche de ma veste, comme ça, je pourrai toujours en avoir un avec moi. En attendant, je m’imagine stalker toutes les librairies de ville en murmurants anonymement des petites éloges à l’égard des badauds : « c’est vraiment un livre excellent, je vous le conseille ».

Kath : Dans la mythologie familiale, une des histoires préférées de mes parents (ex aequo avec celle où je m'offusque que mon petit frère, nouveau-né, ne dise pas "bonjour à grande soeur") est le fait que j'ai su lire à l'âge de trois ans. En société, ça pose sa femme, et ça me fait passer pour une sorte de génie lettré précoce, alors qu'en réalité, ça atteste juste d'une chose: un amour dévorant et quasi éternel de la lecture. L'univers merveilleux de Roald Dahl, les romans graphiques, les histoires oniriques de Jeffrey Eugenides, les magazines, Zola, Jonathan Saffron Foer, David Sedaris,...
 La lecture, les auteurs, les livres, cet univers enchanté où je peux toujours m'évader.
Et où, maintenant, il y a un guide vers une ville parfois enchantée, parfois chiante mais toujours enchanteresse, avec dessus, le nom de Clem, le nom de Jules, et puis le mien à côté.
Parce qu'on a écrit un livre. Et non, je pleure pas, c'est l'odeur du papier neuf, ça me fait toujours piquer les yeux.




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