Me too, deux mots pour reprendre le pouvoir


Quand l'affaire Harvey Weinstein a éclaté, j'ai rien dit.



J'ai rien dit, parce que ce n'était pas ça qu'il fallait écrire, parce que le journalisme, c'est rapporter les faits avec objectivité. Et tenter tant bien que mal de la garder quand les faits s'accumulent et vont toujours plus loin dans l'abject, quand le harcèlement se transforme en attouchement puis en viol, quand il y a un témoignage puis dix puis trente. Rapporter, nuancer, tracer le portrait tout de même d'un homme dont le jeu d'acteur valait finalement tous les Oscars, mécène et producteur de génie en public, et monstre pervers dès que le rideau tombait.

J'ai rien dit parce qu'il y avait autre chose à raconter, et que cette histoire là, de toute façon, je préfère qu'elle ne s'écrive pas. La honte, et l'impression que finalement, leur situation et la mienne, c'était très différent. D'un côté les actrices, ces femmes qui font rêver sur grand écran, et puis de l'autre, le glauque, le sordide, la tristesse infinie d'un box aux urgences aux petites heures du dimanche avec la peur d'avoir le bras cassé et de devoir justement tout raconter. J'ai rien dit. Pas mon combat.

J'ai rien dit, et il y en a plein d'autres qui n'ont rien dit non plus. Parce qu'en 2017, en Europe, dans une démocratie civilisée, il y a toujours d'horribles stigmates qui sont associées aux victimes. Si une meuf se fait violer, on demande où, quand, ce qu'elle portait. Si une meuf se fait frapper, on demande ce qui s'est passé, parce qu'il faut être deux pour se disputer. Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, et jusqu'il y a peu, elles ne rassemblaient pas. Parce qu'en parler, c'était s'exposer au jugement et ajouter la douleur supplémentaire de devoir se justifier. "Non, je te jure, je l'avais pas cherché".

J'ai rien dit, et c'est comme si j'avais dit "continue, vas y".
Frappe moi, insulte moi, humilie moi, dégrade moi, je te dénoncerai pas. J'ai rien dit et ça a continué jusqu'à ce que d'autres parlent pour moi. J'ai eu cette chance, d'autres ne l'ont pas.

J'ai rien dit, et puis j'ai lu le statut de cette meuf. Le genre de meuf que tu croises en soirée, et qui attire tous les yeux sur elle, le genre de meuf qui fait tomber les mecs irrémédiablement amoureux et à laquelle toutes les filles voudraient ressembler.
Un statut, deux mots, "Me too", un cri de ralliement lancé sur la toile pour dénoncer, pour enfin commencer à parler. Cette meuf d'apparence tellement forte, elle disait "me too", elle aussi elle a été frappée, insultée, humiliée. Brisée.

J'ai rien dit, et puis elle m'a donné la force de parler. Et elle aussi, c'est en voyant le mouvement qu'elle a couché cette douleur sur son clavier. Puis y'a toutes les autres, celles qui font que le hashtag "Me Too" trend sur Twitter et qui laissent penser qu'un autre mode de vie est possible.
Une réalité où on met des mots sur les maux, où on parle, fort, à beaucoup, toujours plus, pour que toutes ces violences ne soient plus passées sous silence.

Me too. Moi aussi, je me suis tue, je me suis tuée.
Plus jamais.
J'ai rien dit, mais maintenant, je pense que c'est important qu'on se mette toutes à parler.

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