Un prostitué au masculin raconte son quotidien, et sa colère après l'abandon de l'Eros Center de Seraing


La nouvelle a fait grand bruit, et aujourd'hui, le silence qui l'entoure n'en est que plus bruyant: sans que les principales intéressées aient été consultées, une association féministe s'est battue en justice pour que l'Eros Center ne voie pas le jour. Une victoire? Pas en ce qui concerne Haritz Sanchez, un travailleur du sexe actif dans la région liégeoise. 


Originaire de Bruxelles et âgé de 42 ans, il habite aujourd'hui Verviers et propose ses services aux femmes des environs. Celui qui a commencé en tant qu'acteur porno à l'âge de 32 ans confie que "la transition en tant qu'escort s'est fait naturellement, j'ai des amies qui m'ont demandé si je ne pouvais pas les dépanner pour des clientes et j'ai commencé comme ça". Prostitué pour femmes, une carrière florissante? 
Je ne dirais pas qu’il y a une grande demande (en moyenne, 2-3 clientes par mois) mais la demande s’accentue. Comme il y a très peu d’annonces pour mon type de clientèle, parce que c'est beaucoup moins entré dans les mœurs pour les femmes, je fonctionne beaucoup au bouche à oreille, les clientes se refilent mon numéro et on me contacte comme ça. 

On est bien loin des femmes aux visages hagards qui hantent le quartier Cathédrale Nord, tout comme le quotidien d'Haritz n'a rien de commun non plus avec celui des femmes "dans les vitrines". 

Je ne pratique pas du tout la prostitution de rue, les femmes n’ont pas cet ancrage culturel qu’ont les hommes à aller « chercher le travailleur du sexe ». Je pourrais travailler en rue mais je n’aurais pas de clientes, c’est comme travailler en vitrine, aucune femme ne va passer en rue à la recherche d’un prostitué. 

Ce qui n'empêche pas Haritz de s'insurger contre la nouvelle de l'abandon du projet d'Eros Center à Seraing. 


Il se dit en effet "très déçu par la nouvelle, et en colère finalement. Une fois de plus, on est face à une décision purement idéologique qui n’arrange rien. Aucun travailleur du sexe n’a été consulté, elles disent agir suite à des coups de téléphone de prostituées, mais personnellement j’ai un doute, c'est peu crédible… Je crois que certaines membres du Conseil des femmes francophones sont passées rue Marnix, ont ciblé les personnes et se sont basées sur ce qu’on leur a dit pour leur action, c'est tout". Et tant pis si ça affecte tous les travailleurs et travailleuses du sexe de la région liégeoise, même (surtout) ceux et celles à qui on n'a pas demandé leur avis. Parce que forcément, la prostitution "ne peut pas être un choix". Sauf que si, et ainsi qu'Haritz le souligne, le fait même de poser la question est une forme de discrimination. 


Quand on parle de choix ou non dans la prostitution, on la retire du monde et de la société dans laquelle on est, parce que ce n’est jamais une question qu’on va poser à quelqu’un qui est éboueur ou caissière. Dans mon cas personnellement, c’est non seulement un choix mais un acte de vie, ça va plus loin que l’aspect pécunier, je sais que ce que je fais je le fais bien, je rends service. 

Et d'ajouter que "pour moi, demander si « c’est un choix » n’est pas pertinent, il y a un biais énorme". 


Bien sûr que la plupart des prostitué.e.s le font pour l’argent, mais comme la majorité des gens qui travaillent. On n’est pas différents des autres, on fait notre métier pour payer nos factures. 
Et surtout, surtout, qu'on ne vienne pas les sauver. D'abord, et c'est fou qu'il faille le rappeler, parce qu'ils n'ont rien demandé. "Le côté « sauveur » des abolitionnistes nous infantilise, en plus, ils disent agir pour notre bien, mais pour ce faire, ils veulent nous retirer nos droits. Bien sûr que l’Eros Center n’aidera pas tout le monde, mais ce n’est pas un prétexte pour aider personne. C’est hypocrite : « on veut vous sauver malgré vous, et surtout, soyez de bonnes petites victimes »", s'insurge Haritz. 


C’est comme si on n’était pas assez intelligents pour prendre nos propres décisions et qu’on n’était pas conscients de ce qu’on vit et pourquoi on le vit.

Or, "concrètement, en ce qui concerne l’Eros Center, on était prudents, parce que certaines idées étaient certes maladroites, mais dans l’ensemble, c’était plutôt positif, le projet avait été pensé en profondeur, et même s’il y avait des améliorations possibles, c’était un premier pas concret. Un message d’espoir : la première fois que les pouvoirs publics s’intéressaient à nous". Sauf que d'autres s'y sont intéressés aussi, et en ont profité pour faire capoter le projet. 


Sous prétexte de sauver les femmes, on les met toutes dans la merde. 

Mais que faire alors? Pour Haritz, cela ne fait pas un pli: "la bonne manière d’agir : décriminaliser. Ce n’est pas un travail comme les autres, certes, mais pompier ou policier non plus. La meilleure manière de protéger les travailleurs du sexe, ce serait de leur accorder les mêmes droits que les autres. Quand on a voulu abolir l’esclavage, on a donné des droits aux esclaves, et nous on veut tout nous prendre sous prétexte qu’on est des travailleurs du sexe". Une manière de penser certes peut vertueuse, qui peut aller se rhabiller. 

TEXTE : Kath / PHOTOS : Pexels

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