Des marches usées par les âges, une charpente qui craque et partout, le
vent d’avril qui s’engouffre. Le souffle court, Fabrice Renard m’ouvre la porte
de son antre. 12h30 : nous sommes dans les temps. Cloisons en
contre-plaqué, posters jaunis et coupures de presse à la gloire du maestro, le
lieu semble hors du temps, doucement baigné par la lumière artificiellement
jaunie que diffuse l’unique ampoule au plafond. Sur une chaise pliable sans
âge, je m’installe.
Vous ne l’avez sans doute jamais
vu et vous ne le reconnaîtriez probablement pas, mais comme de nombreux Liégeois,
vous l’avez sans aucun doute entendu maintes fois. Aux commandes du carillon de
la Cathédrale Saint-Paul, c’est toute la cité que Fabrice Renard berce chaque
mercredi de ses mélodies enchantées. Plus punk qu’enfant de chœur, on lui doit
même quelques extravagances, comme d’avoir joué le thème de Star Wars ou Bad Romance de Lady Gaga.
Au programme : hymne
national chinois, une suite intitulée « les volées » et une autre baptisée « présomption d’innocence ».
Des mélodies qui résonnent jusque dans l’actualité de la Cité. Moi, tant qu’à
faire, j’en aurais baptisée une « hommes de paille », jouée
uniquement à l’aide du bourdon ; pour l’ambiance. Après, soyons honnêtes.
Je suis surtout là pour le final, une composition nommée « Kathleen »,
hommage à ma tendre moitié. De quoi mettre du baume au cœur.
Sans relâche, Fabrice martèle les
poignées de son carillon. Ca me rappelle un peu ces jeux dans les Luna Parks où
il faut écraser en un temps record un max de crocodiles ou de crabes qui
sortent d’un peu partout. D’ici, l’instrument mécanique fait d’ailleurs plus
« clic-clic » que « dong-dong », mais qu’importe, l’instant
est magique. Du haut du clocher, je m’évade dans des pensées puzzle :
- La Cathédrale à plus de mille
ans, Victor Hugo plus de deux-cents. N’empêche, même si Frolo est mort depuis
longtemps, il ne fait toujours pas bon demander asile ou être bossu ; surtout
pas les deux //
- C’est quand même con, pour le
premier concert de la saison, un mélomane de chantier jaloux a décidé
d’interpréter « forage à tous les étages » à fond les ballons. Comme
quoi, les problèmes de voisinage, c’est partout pareil //
- De la tour, je jette un œil par
la fenêtre, enfin, la fente en pierre quoi (on dit quand même pas une
meurtrière dans la Maison de Dieu ?) //
- En bas, sur la ville rétrécie
par l’altitude – l’effet Tour Eiffel – un beau charivari (vous l’avez ?) //
- C’est cool ce clocher. Il fait
sombre et y’a des poutres vermoulues dans tous les sens. On dirait le labyrinthe
du Nom de la Rose. Note to self : surtout, ne pas me lécher ostensiblement
l’index droit (slûûûûûrpppppp) //
Après une demi-heure, je n’y
tiens plus. J’ai envie d’aller explorer les moindres recoins de ce grenier
géant. Gonflé à bloc, je de me
rendre sur l’ultime palier de la Cathédrale : le clocher, battu par les
vents.
Les premiers 50% de l’ascension
se passent comme sur des roulettes. C’est que, jusque là, y’a des marches. Pour
le reste, ça se tend : une échelle oblique en fer, rien en dessous, rien à
côté, pas de rampe. Je jette un dernier regard à Kath. Dommage, je l’aimais
bien cette petite.
Ma vie ne tient qu’à un fil. Au
moins, si j’y passe, je serai déjà en route pour le Ciel. Ce serait mesquin de
me recaler en si bon chemin. J’atteins péniblement le troisième échelon. J’ai
les mains moites et j’ai froid. Mon corps se fige. Mes jambes me lâchent.
Dans une tentative désespérée,
j’agrippe une poutre et me hisse. Sauvé. La vue est magnifique. Partout, des
cloches. Des grandes et des petites. Et en plus, elles bougent. Mon Dieu, tout
cela est-il réel ou bien me
suis-je réincarné en pigeon ?
Je rassemble le peu de courage
qu’il me reste et je prends deux-trois photos. Ca va être du plus bel effet. Au
moins tout ça n’était pas en vain, je devrais facile atteindre les quatre like
sur mon compte Insta. Du reste, je ne vais quand même pas pousser ma chance. Veni, Vidi, Illico reparti.
Un peu sonné, ma Pentcôte se passe
sans anicroche. En pleine transe, je descends comme sur un nuage. J’entends des
voix. Mon corps semble s’être réveillé. C’est Kath qui m’interpelle :
- Ca va Clem, t’es tout
pâle ?
- Tinquiète, easy. C’est trop
bien en haut. Tu devrais tenter.
- Ouias, j’sais pas trop, j’ai un
peu le vertige.
- Comme tu le sens, mais si tu
veux, je t’accompagne, pas de souci.
Dans un déluge de fonte et de
« clic-clic » l’impressionnante prestation de Fabrice prend fin.
C’était vraiment bien. Il est maintenant temps pour nous de retrouver le
plancher des vaches.
- Eh Kath, dis un peu dix fois de
suite « la grosse cloche sonne » le plus vite possible
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