CinématografilleS : Juliette, 18 ans, a vu "Noces"

Noces (de Stephan Streker) c’est le film de la semaine, celui du jour des droits de la femme. Je ne voulais pas en parler car je lui trouve deux trois défauts, pas grand chose au fond, mais fallait pas gâcher la fête. Puis, j’ai reçu ce sms de ma petite sœur :


Juliette a 18 ans, comme Zahira, la protagoniste. Comme Sadia, tuée en 2011 parce qu’elle était une femme. Alors, là, je me suis dit : et bien, Juliette, elle n’a qu’à en parler à ma place.


En quoi ça t’a choqué exactement ? Je lui demande. « C’est à des années lumières de ce que je peux imaginer. Pourtant ça se passe ici, en Belgique. Et, tu sais, c’est une histoire vraie ! On a rencontré le producteur après la projection scolaire… Tout est vrai ! » Elle me le dit avec des yeux ronds comme des ballons. Noces en effet s’inspire de l'affaire Sadia Sheikh, un fait divers belge de 2011. Le film suit une adolescente belgo-pakistanaise obligée par sa famille de se marier avec un inconnu. Et ça, c’est après qu’elle se fasse avorter. Je demande à Juju ce qu’elle pense de Zahira, tu t’identifies à elle ? « Je l’admire parce qu’elle se rebelle. » Zahira est « la seule qui résiste ». En 2012, Marc Preumont, avocat de l'Institut pour l’Égalité des femmes et des hommes, partie civile au procès Sadia Sheikh, l’avait dit aussi « C'est une femme qui refuse de se soumettre ». Et Juliette d’ajouter «c’est une héroïne moderne». Je suis d’accord. Le réalisateur l’est aussi  car il fait clairement de cette affaire une tragédie universelle dans laquelle Zahira serait une Antigone moderne (une scène y fait clairement référence).


Juliette ne se contente pas d’être bouleversée, « Je me mets à leur place, ils sont nés dans cette tradition. Pour eux, c’est normal. » C’est bien ce que le réalisateur veut faire passer : ici, pas de gentil, ni de méchant. « Pas de monstre, que des situations monstrueuses » a-t-il dit ce matin à la radio. Cette approche du cinéaste s’inspire de celle adoptée par Asghar Farahdi pour Une Séparation. Il s’agit de laisser entièrement au spectateur le rôle du juge moral. Un tour de main respectable, un exercice difficile, maitrisé à la perfection par Farahdi. Mais dans ce cas, Juliette n’est « pas sûre de trouver ça normal. » Ça la dérange que Stephan Streker ne se positionne pas ouvertement. « Tout le monde est contre le mariage forcé ! ».

« Et puis, un mec de mon âge a dit que le réalisateur diabolisait l’avortement. Tu vois, j’ai l’impression que d’un côté il garde une distance mais en même temps on sent qu’il a un avis. S’il voulait vraiment laisser au spectateur le choix de ses émotions, il aurait du encore plus prendre de distance. » Ce que Juliette veut dire – je crois - c’est que le cinéma n’est pas là pour nous berner mais pour nous faire réfléchir, pour nous faire évoluer. Finalement, je trouve que la mission est ici assez réussie. Grâce à Noces, j’ai eu une bonne discussion avec ma petite sœur sur l’avortement, le mariage forcé, les traditions et le cinéma – tout un programme. (On a aussi parlé de l’actrice, elle est trop belle et elle joue trop bien.)

Astrid 
& sa soeur Juliette


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