En 2011, face à un pavé bleu de journalistes
cannois, Lars Von Trier disait « comprendre Hitler ». Avec The House That Jack Built, l’enfant
terrible du cinéma s’efforce, encore, à « comprendre le mal ». Est-il
un saltimbanque de Satan ? C’est en tout cas un espiègle. D’autant plus quand
il annonce à De Morgen, qu’il ne fera
plus de film sans référence à l’innommable moustachu. Quel beau procédé inversé
de reductio ad hitlerum !
Jack, alias
Mr.Sophistication, architecte raté, misogyne et criblé de TOC, entretien une
conversation délirante avec une voix mystérieuse. Le psychopathe revient sur
les 12 dernières années de sa vie et particulièrement sur 5 « incidents » qui
sont chaque fois des meurtres, à la fois odieux et ridicules. Assez vite, le
spectateur comprend qu’il a été invité dans les méandres d’un esprit ravagé. C’est
un homme de la plus basse extraction que
filme The House That Jack Built. Et
pourtant, c’est aussi l’auto-portrait du cinéaste danois lui-même. Lars Von
Trier exécute ses spectateurs avec des films abominables qu’il définit comme des
œuvres d’art sophistiquées. « Il y a beaucoup de Jack en moi. La
différence est que je n'ai jamais tué personne. Pour le moment du moins. J'ai
souvent fantasmé à ce sujet. [in De Morgen, 2018]» Quel taquin, ce Lars.
« Célébrité »,
« Art » et « Enfer ». Un ami m’a demandé de décrire le film
en trois mots. Parce qu’il était trop curieux mais ne voulait pas non plus être
trop spoilé…
Célébrité
Le film est
ponctué assez régulièrement d’un morceau de David Bowie, Fame. « La célébrité
pousse au crime », peut-on entendre dans la chanson. Un mot qui
renvoie donc à la personnalité artistique controversée du danois.
Art
Au delà de
l’art en général, débattu entre chaque chapitre (incident), une personnalité
revient régulièrement pianoter : Glenn Gould. Ce pianiste, l’un des plus grands
de sa génération, est un symbole du génie. C’est un excentrique aussi. Ce qui
nous renvoie ici à la pulsion créatrice grotesque de Jack - qui faute de bâtir la maison de ses
rêves utilise des corps comme matériau de construction - et par extension celle
du réalisateur.
Enfer
Le film
cite explicitement la Divine Comédie de Dante. Depuis toujours, l’humain enquête
sur la source du mal. Littéralement, il a creusé la terre pour dénicher le
Tartare. Qu’est-ce qui pousse Jack à une telle cruauté ? Et qu’est ce qui
pousse Lars Von Trier à mettre en scène ses obsessions glauques ? Quand,
en 2011, le cinéaste disait comprendre Hitler, il voulait dire qu’il avait
cherché à comprendre le mal et, donc, ces êtres humains dont Jack fait partie. Ce
n’est pas étonnant que dans les photos, ce que Jack préfère sont les négatifs
car il y voit la lumière noire… Au fond, le cinéaste danois est en avance sur
son temps si on en croit les prédictions de Pierre-Henri Castel dans son essai Le Mal qui vient. Selon l’auteur, l'humanité
s’éteindra dans quelques siècles. C’est indéniable. Il serait temps, donc, de
se pencher sur le concept du mal car en temps d’apocalypse, le désir de
destruction est parfois tentant.
Ce que je pense du film
Pour ce qui
est du film en tant que divertissement : on y retrouve l’approche ludique
du cinéaste, l’humour noir, la violence explicite, la caméra à l’épaule, un
léger style documentaire - derniers restes du Dogme95 - et de
très belles images nées d’une esthétique soignée. Et puis, il y’a toujours dans
les films de Lars Von trier une certaine grandiloquence contrastée par une
attention aux détails, d’infimes détails du quotidien.
Pour interludes : des archives
commentées par un peu de philosophie pour les nuls... On est loin de
l’expérience-choc de Dogville, de la
perfection de Melancholia ou du mystique
Nymphomaniac. Bien qu’amusant, c’est surtout
sordide et long. À l’instar de son protagoniste, de moins en moins méticuleux
et dont les TOC sont sur le déclin, Lars Von trier n’est plus exactement ce
qu’il était. Il est devenu plus maladroit.
Texte : Astrid
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