Distillerie de l’Espérance : de l’assommoir au devoir de mémoire

Fondée an 1826 par Adolpe Renson, le bourgmestre de Montegnée, avant d’être rachetée en 1900 par la veuve Hellen Grisard, la distillerie de l’Espérence commerciale est la plus ancienne distillerie de pékèt du pays de Liège. Restée dans les mains des descendants, c’est sous le nom de Constant que la famille exploite nostalgiquement un produit aujourd’hui devenu symbole du terroir de notre région.


Ne cherchez pas de fûts de chêne ou de grands alambiques en cuivre façon Highlands. Ici, vous n’en trouverez pas. C’est qu’hormis une inscription « Vieux Système » à moitié délavée sur un mur de briques sales, rien ou presque ne semble indiquer que c’est au numéro 86 de la rue Félix Bernard à 4420 Montegnée que se loge la plus ancienne distillerie de pékèt encore en activité. Et pourtant, c’est bien ici qu’est conservée la recette d’un des produits phares de la région : le pékèt Vieux Système, au même titre que celles de nombreux ratafias de fruits, si populaires durant les fêtes du quinze août.

Aux origines, la distillerie voit le jour dans un environnement digne de la famille des Rougons Macquart si chère à Émile Zola. Alors en plein boom, Liège bâtit sa prospérité sur l’industrie du charbon et de l’acier dans des conditions dantesques, tandis que mineurs, sidérurgistes et verriers assurent une clientèle fidèle aux débits de boisson et autres assommoirs de la région.

En 1826, la Belgique est encore sous domination hollandaise, raison qui explique la popularité du genièvre chez nous. La recette de la maison est d’ailleurs assez proche du goût du genièvre « Bols » : une teneur en alcool de 35° et un aspect jaunâtre typique du genièvre limbourgeois hollandais.

En wallon, « pèke » signifie « baies de genévrier » dans certains dialectes, et ce serait là une des origines du mot pékèt, bien qu’une explication alternative en attribue la paternité à l’adjectif « pèkèt », soit « piquant » en vieux wallon. Un qualificatif qui aurait donné son nom à la boisson. Pour les ouvriers du feu liégeois, la boisson est avant tout une échappatoire. Pour quelques pièces, elle permet à chacun d’étancher ses souffrances. Les hommes triment et le péket coule à flots.

Selon la légende que relate Patrick Constant, une des origines du mot pékèt viendrait toutefois de la compression des expressions « Pouh » signifiant le dégoût et « eke », un suffixe néerlandophone voulant dire « petit, médiocre ». Prononcées rapidement, ces deux interjections qui auraient donné naissance au mot « pékèt » (Pouh…eke) étaient alors utilisées par les travailleurs pour désigner le genièvre de piètre qualité vendu par les maîtres des mines à leurs ouvriers.

 
A l’époque, lever son verre ne se faisait toutefois pas machinalement, mais suivait au contraire un rituel consacré : la première rasade devait servir à rincer le verre. Le fond était ensuite versé dans la paume de la main avant d’être frictionné sur le visage et la tête. Un remède autrefois populaire pour soigner la chevelure (et se décrasser le visage).

Pendant tout le dix-neuvième siècle, l’alcool de la distillerie est distillé in situ, mais les choses changent lorsque durant la Première Guerre mondiale, les Allemands réquisitionnent les alambiques pour en faire des obus. Pour la distillerie de l’Espérance, c’est la fin de la fabrication de pékèt par distillation. Privés de leur gagne-pain, les propriétaires sont contraints de continuer leur activité en se procurant de l’alcool éthylique à l’extérieur, et de s’en servir comme base pour leurs préparations.

Plutôt que d’être distillés, les distillats sont désormais assemblés dans des proportions précises avec de l’alcool éthylique, un peu comme dans l’atelier d’un parfumeur. Le procédé change, mais les recettes restent. Aujourd’hui presque bicentenaire, la petite distillerie écoule encore chaque année près de 30.000 litres d’alcool fabriqués artisanalement sur bases des recettes d’antan. Une fierté d’autant plus grande pour Patrick Constant que le temps n’a pas épargné la maison, miroir des hauts et des bas de la région.

A côté des produits emblématiques de la distillerie le peket Vieux Système à la recette authentique de 1826 et l’Ewe di mousse, le shop qui jouxte l’établissement propose de nombreux autres produits maison à prix doux, comme les pékèts aromatisés, les célèbres ratafias au goût de fruit qui rythment les festivités du quinze août. Autre spécialité unique, la maison fabrique encore du verjus, cette « boisson que l’on trouvait sur les tables de nos grand-mères, jus de raisin faiblement alcoolisé avec les grains de raisin flétris au fond de la bouteille et que s’arrachaient les enfants lors des grandes occasions »




Rue Félix Bernard 90
4420 Montegnée

Texte & Photos : Clem

(propos restitués sur bases des informations recueillies et transmises par Patrick Constant, aux commandes de la distillerie de l’Espérance)


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