De loin, hors contexte comme ça, on pourrait croire que journaliste, c'est un métier de pèye. Ces gens sont quand même payés (un peu) pour jouer aux écrivains, se pavaner devant des caméras ou faire les guignols en pyjama, planqués derrière un micro radio. Sans parler du fait qu'ils vont au cinéma et au musée sans payer et qu'ils décrochent même parfois des entrées pour les plus beaux festivals du coin... Et on aimerait tellement vous donner raison !
Vraiment, on aimerait être des planqués, avec en plus des horaires traditionnels, des congés payés, une voiture de société, une bonne mutuelle, ... Bref, un contrat. Mais dans le monde du journalisme, tout se mérite ! Surtout quand on rêve depuis toute petite, comme moi, d'être journaliste à la RTBF. (C'est le moment où j'avoue que c'est en grandissant avec le JT de François De Brigode à l'heure du souper que j'ai développé une fameuse passion pour le métier). Parce que pour entrer dans le sacro saint RTBF en tant que journaliste, il faut d'abord réussir le concours de la mort, en 4 étapes. Et après, peut-être, si on est super doué (et qu'on a de la chance) on aura éventuellement un contrat. Un jour. Peut-être. On verra.
Etape 1 : être accepté dans la course
Jusqu'ici c'est plutôt limpide : peut prétendre à passer le concours-de-la-mort tout journaliste qui a un diplôme universitaire de journalisme (niveau master) OU au moins trois ans d'expérience dans le domaine. Jusque là, ça se tient, logique. C'est tout pour cette première étape. Mais vu que j'ai failli laisser ma peau, quelques dents, beaucoup de cheveux et quasi toute ma vie sociale dans ce concours, j'aime bien préciser qu'il y avait QUATRE étapes. Même si la première consistait surtout à dépoussiérer le grenier de papa à la recherche de mon diplôme de l'ULg. (Oui, je sais, aujourd'hui quand on est « in » on dit « ULiège », mais je suis old school).
Etape 2 : le QCM sélectif
Sélectif, vraiment. D'abord, il y a tout ceux qui ont abandonné la bataille avant le jour de l'examen. Parce que sa réputation le précède, ce QCM est une sorte de roulette russe avec une petite centaine de questions qui traitent de tous les sujets. Culture, société, sport, déontologie journalistique, histoire, géographie, politique, économie, international, orthographe, grammaire, ou encore environnement RTBF. J'ai donc appris en mars dernier, le nez dégoulinant de sueur au-dessus de ma copie que « le coup de crosse » n'avait rien à voir avec du hockey. Mais bien avec une condamnation du rexisme par le cardinal Van Roey en 1937, avec du Léon Degrelle dans le brol (qui n'en a quand même fait qu'a sa tête, soit dit en passant).
Bref, comme les plus malins l'auront compris, c'était une épreuve chaude de la culotte. D'abord parce qu'on ne sait pas très bien comment préparer l'affaire. Suivre l'actu de près, tout en approfondissant les pourquoi, comment, depuis quand qui vont avec. Mais aussi ressortir ses cours d'histoire. Etudier tout le vocabulaire sportif. Revoir le système politique belge. Réétudier le système de justice, aussi. Les anniversaires de morts, d'événements marquants, pouvoir en parler, ...Parce qu'il faut aussi savoir que ce n'est pas un simple QCM avec une bonne réponse qu'on peut tenter au coup de bol ! Contrairement à ce que le questionnaire en ligne vous a fait croire, sachez que le sadisme du jeu allait plus loin que ça !
Certaines questions avaient en effet plusieurs bonnes réponses possibles. ET. PUIS. SURTOUT. Si vous ne cochiez pas TOUTES celles qui étaient correctes, c'était perdu. Zéro. Merci d'être passé, bisou. Bref, la préparation était un puits sans fond. J'y ai laissé quelques jours de sommeil, et certainement 10 ans de ma vie en stress. Résultat des courses : on était environ 450 inscrits, d'après la légende. Ils en garderont maximum 200 jusqu'à l'étape suivante. Les résultats dans 3 semaines. Trois semaines pour mourir. Adieu.
Etape 3 : l'exercice pratique (et à distance)
YOUHOUUU ! « Vous avez obtenu une note suffisante pour accéder à la prochaine étape de l'épreuve. » Le rendez-vous était donc donné un samedi 21 avril que l'on n'oubliera jamais.
Via une plateforme en ligne, être au garde-à-vous à 09H00 du matin pour recevoir les trois premiers sujets proposés pour rédiger un article web. Et donc, être tel un hibou dans le fond de son lit à partir de 6H42. Et actualiser la page de ladite plateforme 1.237 fois, entre 8H24 et 9H00. Et puis ça y est, la caverne est ouverte : on a 60 minutes pour choisir un sujet parmi les trois proposés. Faire des recherches. Rédiger un article web, en respectant le contenu, mais aussi la forme, l'orthographe, penser à glisser des liens hypertextes et des vidéos malignes. Envoyer son bébé fini au stress et sans relecture à 10H00 tapantes, au risque que toute cette sueur ne soit pas considérée pour cause de retard. Survivre (presque). S'offrir une pause pipi pendant les 15 minutes accordées. Puis rebelote.
Trois nouveaux sujets, en choisir un, réaliser un article radio et l'enregistrer. L'envoyer dans 60 minutes. Être plus proche encore de la mort. Tenter de manger un pomme pour des vitamines, sans succès, pendant le quart d'heure de respiration. Et puis s'y remettre, pour le même et dernier exercice, mais à adapter en vidéo. Arrêter le tout à 12H30. #jaibesoindunesieste #perdre15ansen4heures
Etape 4 : le jury de la mort
Si mon amoureux en or et en diamants a pris les devants en célébrant la réussite après l'étape pratique, c'est un peu pour être sympa. Mais un peu aussi pour manifester que « ça suffit maintenant, j'en ai ras-le-coco de ton concours, ce soir on picole ! » (mais il ne l'avouera jamais). Mais voilà :alors que notre entourage ne nous supporte plus et croise tous les doigts non-rongés qui leur restent, ils apprennent que le pire est à venir.
Le QCM et la pratique, c'était presque pour rigoler quand on réalise que maintenant, il est l'heure de se préparer pour le jury. Et jury, au sens sympa du terme, c'est : les journalistes patrons de la RTBF, qui sont responsables de tellement de choses qu'on se demande toujours s'ils ont une chambre secrète dans les bâtiments de Reyers, et qui connaissent absolument tout. Un conseil d'ami : ne lancez jamais une équipe de journalistes RTBF sur un Trivial Pursuit, vous n'aurez aucune chance.
Et donc ces bonshommes, qui sont des bonnets impressionnants de savoirs et de professionnalisme, ont prévu de vous cuisiner pendant une bonne demi-heure, sur des sujets aussi variés que ceux énoncés pour le QCM. Sauf que, cette fois, ce n'est plus entre toi, ta feuille de papier, tes Nalus et ton bic, ma cocotte. Cette fois, t'es cuisinée en direct, de visu, avec des gens impressionnants. Voilà. Je n'ai rien à ajouter. J'ai survécu (avec beaucoup de déo). (Et après un ultime exercice de montage vidéo, mais franchement, c'est anecdotique dans tout ce bazar).
Etape 5 : les résultats
Deux semaines plus tard, les rumeurs commençaient à tourner au sein siège de Reyers au sujet des résultats. Et deux semaines, sachez que c'est long quand on joue sa vie ! (Vraiment, j'exagère à peine). On a le temps de revivre 9.413 fois ce fameux jury de la torture, de se dire que finalement on n'a pas si bien répondu, qu'on aurait dû ajouter ça, et ça aussi !
Et qu'on est vraiment quiche de ne pas avoir pensé à Didier Reynders de suite, pour cette question sur la politique bruxelloise. Bref, après 15 jours d'attente éternelle, on finit presque par se résigner : c'est foutu. Je plaque tout et je me tire élever des lamas dans les plaines d'Argentine (mais avec Netflix et Spotify, faut pas déconner). Et puis, un midi, Facebook vous dit que certains camarades de galère ont déjà été appelés.
Et le coup de fil, c'est pas bon : on t'annonce que t'a loupé ton coup. Alors tu te mets à paniquer, à vérifier que tu n'as aucun appel manqué qui commence par 02/737. Et puis, à chaque petit frémissement que fait ton téléphone, tu frôles l'arrêt cardiaque. Tu annonces à tous ceux qui t'adressent la parole que tu es sur le point de défaillir et qu'ils n'ont qu'à revenir demain. Enfin, il est 18H30. Tu n'as toujours reçu aucun appel, mais pas non plus d'email pour te confirmer que tu fais bien partie des lauréats. Tu te résignes, te planques derrières tes casseroles, on verra demain.
Et puis.
Benjamin, ton collègue de concours, te demande « Alors, tes mails, qu'est-ce que ça raconte ? » ARRÊTEZ TOUT ! Rafraichir ta boîte en ligne treize fois, sans succès. Rien. Pas un email, même pas de la part de Groupon. Paniquer plus fort encore, entendre ton mec qui te trouve ultra pénible et que tu dois vraiment te calmer. Et puis penser à l'autre adresse, celle sur laquelle ils ne t'ont encore jamais contactée, mais on ne sait jamais...
Et c'est là ! Ca le dit : tu fais partie des lauréats journalistes RTBF ! C'est dur à croire, tu le lis trois fois, tu sautes au cou de l'amoureux bien-bien saoulé, et tu te retiens de pleurer. C'est bon, c'est fini. On boit ? Juste un pot vite-fait.
Parce qu'il ne s'agit pas de se contenter de réussir le concours. Il reste des années d'efforts pour mériter sa place, dans une institution telle que celle-là. Et c'est aussi pour ça qu'on l'aime plus que les autres, la RTBF : elle n'est pas là pour rigoler. Pas question d'accorder du crédit à des guignols ni à des Miss Belgique sur le déclin. Bisous.
NB : le premier que j'entends dire que les journalistes RTBF sont des amateurs qui ne savent pas de quoi ils parlent, je lui fais bouffer mon micro.
Texte / Lucie
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