Short, tattoo et quart d'heure académique de retard, lorsque Quentin le Bussy sonne à la porte, lui et moi ne nous sommes jamais rencontrés. Mais c'est un peu comme si on se connaissait depuis toujours. Car Quentin, il est comme ça. C'est le bon copain qui connaît toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un. Et comme nous sommes à Liège, ca veut dire tout le monde. A peu de choses près. Rien que sur Facebook, nous avons 33 amis communs. Mais est-ce là une raison suffisante pour s'engager à ses côtés ?
Interroger Ecolo, Vert-Ardent, sur son programme de campagne, c'est tout sauf simple. Car qu'en dire ? Existe-t-il vraiment chez nous des individus qui militent pour la pollution atmosphérique, les autoroutes congestionnées et la nourriture trafiquée ? Globalement consensuel, ce catalogue des bonnes intentions laisse tout de même un peu perplexe. Tout ceci n'est-il pas un peu fleur bleue ? Les écologistes sont-ils vraiment ces doux rêveurs auxquels leurs détracteurs les associent si volontiers ?
Pour démarrer cette rencontre, je me propose donc de tester la propension à la realpolitik de mon invité avec une question personnelle et un pékèt violette (voir ici pour plus d'infos sur le concept). La question n'est pas de moi, mais de Machiavel, le célèbre penseur italien de la Renaissance. Petit clin d'oeil au passage au parcours d'historien de Quentin.
En politique, mieux vaut-il être craint ou aimé ?
Je suis plutôt de l'école qui dit qu'il vaut mieux être aimé et qui reflète mieux ma nature. J'ai très vite appris de Bénédicte Hendricks que pour être aimé, il faut être aimable. J'ai toujours eu une personnalité de leader, toujours prêt à rassembler et fédérer. J'imagine que l'on peut gouverner et obtenir des résultats par une gouvernance autoritaire, mais c'est un plaisir solitaire.... l'adhésion et la coopération ne peuvent s'obtenir par la crainte. Mais un des défauts d'Ecolo, c'est peut-être de trop promettre, en ce compris des choses qu'on ne pourrait mettre en place que si nous étions seuls au pouvoir. Et comme l'électeur attend beaucoup d'Ecolo, il a aussi tendance à le sanctionner lourdement.
Faire une carrière en étant craint ? Ca ne reflète ni celui que je suis, ni les résultats que je souhaite obtenir.
Dans Le Prince (1532) Machiavel prônait pour sa part une politique reposant sur la crainte insufflée, car celle-ci peut selon lui être contrôlée, à la différence de l'amour que l'on génère. Difficile toutefois de comparer la République de Florence à la ville de Liège, quoique ... et s'il y avait dans les leçons du penseur une explication aux résultats en dents de scie de la famille écologiste ?
Pour rester dans le registre du calcul rationnel : que peut bien penser Quentin le Bussy de l'appropriation du discours environnementaliste par les autres partis ? Au XXIe siècle, l'écologie est-elle toujours la chasse gardée d'un parti en particulier ? Pour en avoir le coeur net, je tends à celui-ci un pékèt nature, sur la ville de Liège.
Liège, Belle, Rebelle et ... en Transition. C'est une formule utilisée par le bourgmestre sortant Willy Demeyer, mais ça aurait pu être de vous non ?
C'est une promesse à nous, mais ça fait déjà longtemps que les partis traditionnels viennent puiser chez les écologistes des idées quand ils en manquent. Un tiers du temps, ils reprennent nos idées et les appliquent correctement. Le reste, soit ils les appliquent mal, soit ils en font carrément n'importe quoi. Prenons des exemples.
Les rues apaisées - ces rues que l'on ferme pendant les vacances pour laisser les enfants y jouer - c'est une idée de Guy Krettels qui a été reprise et qui fait aujourd'hui beaucoup de bien.
De la même manière, j'avais également proposé fusionner les systèmes d'encadrement des crèches et de centraliser les inscriptions pour mettre fin aux logiques de passe-droits. Dans ce cas-ci, l'idée a également été reprise, mais elle a mal été exécutée. Aujourd'hui, le système reste une boîte noire, sans véritable transparence.
Enfin, il y a des cas ou c'est juste de la récupération pure et simple. Avant la campagne de 2012, les autorités ont par exemple cherché à vite fait bien fait mettre en place quelque chose pour les cyclistes. Ils ont donc fait un tronçon de piste cyclable qui va de la Place Xavier Neujan à ... l'Opéra. Résultat ? Tout le monde râle. On a dû réduire une bande de circulation et les automobilistes sont mécontents, tandis que les cyclistes n'y trouvent pas non plus leur compte dans la mesure où cette piste débute de nulle part et ne mène à rien. Il n'y a aucune logique derrière l'opération. Il aurait sans doute été plus judicieux de recourir à l'utilisation partagée de la bande de bus qui demeure.
Une ville belle, rebelle, c'est toujours mieux que moche et re-moche, mais en transition... la conclusion est un peu rapide. La formule nous donne raison, mais on le ferait sans doute bien mieux nous même. Il faut aller beaucoup plus loin dans la logique, par exemple en intégrant des clauses ad hoc dans les marchés publics.
La gauche qui s'approprie le discours écologiste ? Mais que pense Quentin le Bussy de la droite, qui a tôt fait de dénoncer le discours écologiste ? C'est que ces derniers moi, les noms d'oiseaux ont fusé, de Charles Michel qui accuse Ecolo de faire de la "trumpisation" à Benoît Lutgen, qui dénonce chez les Verts une forme de populisme. Je pose la question avec un pékèt cuberdon, sur la politique fédérale.
Au vu des dernières déclarations, les partis de droite se montrent parfois acerbes vis-à-vis d'Ecolo. L'écologie politique est-elle nécessairement de gauche ?
Oui, c'est certain. Un des principes fondateurs de Vert-Ardent, c'est la solidarité au cube. C'est tout d'abord la solidarité ici et maintenant, grâce à la sécu, aux pensions et à tout ce qui touche à la valeur redistributive de l'impôt. C'est ensuite la solidarité Nord-Sud et les nécessaires réformes du commerce international. C'est enfin la solidarité avec les générations futures. Avant, on ne se souciait que peu de l'écroulement du monde. Aujourd'hui, ce sont nos propres enfants qui risquent de vivre la 6e extinction de masse à l'échelle planétaire.
Savoir si Ecolo est un parti de gauche pose logiquement la question de définir ce qu'est la gauche. Et moi, je refuse de laisser le monopole de la gauche au PS/PTB. Ils ne sont pas le mètre-étalon.
Ecolo couvre un spectre qui va de certains électeurs du PTB, les progressistes radicaux qui n'adhèrent pas au productivisme, au centre droit jusque Defi ; c'est-à-dire les libertaires plus que les libéraux, déçus de la sociale-démocratie. Vient aussi s'ajouter une branche issue de la démocratie-chrétienne qui n'accepte plus les dérives identitaires et le "ça ira toujours bien comme ça". L'ennemi, ce sont les rentiers, les conservateurs et les productivistes. Ceux qui n'ont pas capté. Et on en trouve même à gauche.
Trois pékèts et déjà, un parler politique qui s'enflame. Combats politiques et ennemis à abattre... les productivistes d'aujourd'hui remplaceraient-ils les bourgeois d'hier ? La consonance elle, reste très orientée lutte des classes. Qui vous a dit que les Ecolos étaient des bisounours ? Sur la lancée, je sens mon invité prêt à aller plus loin et lui tends un pékèt citron.
Passer d'Ecolo à Vert-Ardent, n'est-ce pas là une forme de Greenwashing ?
J'ai validé l'ensemble du processus et pourtant, j'ai eu peur de ça; peur que l'on dise que ce n'est qu'Ecolo & Friends.
Est-ce le cas ?
Non. J'ai rencontré énormément de gens différents, alors même que j'ai toujours vécu à Liège, avec un réseau de connaissances étendu. Le résultat est un programme fort différent de celui d'Ecolo en 2012 et globalement plus costaud, car fait par beaucoup plus de gens à la base. Pour être crédible, on s'était dit qu'il fallait au minimum 30% d'extérieurs, or là on est à presque 50%. Tous ces gens participent au processus de réinvention du programme.
A titre personnel, je suis d'autant plus satisfait que c'était une tâche difficile, qui consiste à réinventer comment faire de la politique en le faisant... même si je suis déçu par le départ des pirates, car je m'entends bien avec certains d'entre eux.
Faire de la politique, ce n'est pas facile. Les élections, c'est un championnat. On ne peut pas quitter le match à la deuxième mi-temps car on n'est pas satisfait de tout.
Et pourquoi VEGA n'a-t-il pas rejoint le mouvement ?
Avec VEGA, c'est je pense le fruit d'une incompréhension qui dure. Mais des divisions, il y en toujours eu au sein de la gauche...
Alors que l'échange se poursuit, la pluie nous rappelle que l'interview touche à sa fin. Et puis, nous sommes le 13 août, chacun a des plans pour ce soir. A l'abri, nous finissons l'entretien par un pékèt caraïbes, l'occasion de clôturer sur une note d'évasion.
En dehors de Liège, quelle autre ville faire vibrer ton coeur ?
Je dirais Grenoble, sans surprise, même si j'aurais pu dire Barcelone. D'abord parce que mon grand-père y a fait ses études et que chez moi, on boit de la Chartreuse en famille. Ensuite parce qu'avec Liège, ce sont des villes démographiquement comparables. Enfin et surtout, parce qu'à Grenoble, une majorité gauche radicale-écologistes-citoyens a réussi à renverser la logique productiviste dans une agglomération au passé politique pourtant lourd.
Aujourd'hui, Grenoble est même devenue un exemple et la ville donne le la : la pollution de l'air est en baisse, la ville a banni la publicité des espaces publics, etc. C'est à mon sens un exemple d'autant plus inspirant qu'ils arrivent à des résultats. Je ne suis pas partisan de la gauche grandiloquente, souvent trop loin des solutions. C'est la raison pour laquelle la gauche a perdu la bataille dans les années 1980. Je pense qu'il faut des résultats.
Gauche radicale, écologistes et citoyens, c'est un projet de majorité à Liège aussi ?
Je pense que ça peut être le bon combo.
Texte & Photos : Clem
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