A l'aube de cette nouvelle rentrée, tous les regards sont essentiellement tournés vers nos écoliers, certes, principaux intéressés.... Mais qu'en est-il de ceux qui, jadis apprentis, se retrouvent de l'autre côté du tableau aujourd'hui ?
Avec un nouveau pacte prêt à miser « l'excellence » pour l'enseignement et des constats d'abandons du métier plus qu'alarmants, les discussions sur l'éducation sont plus que jamais au premier plan.
Comment le 1er septembre est-il vécu par nos professeurs liégeois ? Comment s'y prépare-t-on ?Quelles sont les impressions de ceux qui débutent et celles de toutes les autres générations ?
Quelles sont les joies et les affres du métier ? Plus encore, que penser des réformes en place et des pistes de solutions proposées ? Un renouveau de la formation est-il à envisager ?
Des professeurs de tous âges, expériences et carrières confondus, nous livrent les secrets de cette profession en pleine remise en question.
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Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir enseignant ?
« L'envie de donner de la bonne humeur au cours de math. Les élèves sont souvent découragés et j'essaie d'apporter une humeur positive pour leur donner envie d'aller en cours. »
Julien, prof de math degré inférieur, 20 ans
« Un modèle : mon propre prof de français lors de mes dernières années de secondaire. Il était passionné et il a vraiment réussi à me transmettre ça. Moi qui ai toujours adoré la littérature, je rêvais juste de pouvoir faire pareil. »
Emma, prof de français degré supérieur, 26 ans
« Je suis tombée dedans quand j'étais petite. Dans chaque génération de ma famille, il y a au moins un prof. C'était donc presque ''génétique'' chez moi. En plus, il s'agit d'un métier où on se retrouve face à un public, on se met en scène, c'est plutôt génial ! »
Marie, prof de néerlandais degré supérieur, retraitée, 70 ans
La réalité est-elle conforme à ce que vous vous imaginiez ?
« Oui et non. J’espérais des élèves beaucoup plus motivés et enthousiastes vis-à-vis des leçons, mais je me rends compte qu’on se trouve à une époque où peu de choses motivent les jeunes. À nous de trouver les bons moyens. Je m’attendais également à beaucoup plus d’entraide entre les professeurs. Parfois, ce serait vraiment nécessaire pour garder une certaine ligne directrice, mais il faut tomber sur la bonne personne. Cependant, tout dépend des écoles, évidemment. »
Justine, professeur de français, promotion sociale, 25 ans
« Sur beaucoup d’aspects du métier (surtout le travail ''en classe''), c’est assez conforme à ce que j’imaginais. Ce à quoi je ne m’attendais pas du tout, c’est de ''perdre'' autant d’heures de cours ; on en ''perd'' pour beaucoup de raisons (voyages scolaires, conférences, excursions, jours fériés…). Cela dit, ce sont des heures pendant lesquelles on n’avance pas dans le programme, mais elles ne sont pas perdues pour autant : une visite est un bon moyen de continuer l’apprentissage en sortant du cadre d’un cours. Accompagner les élèves lors de ces excursions peut aussi se révéler très intéressant. En tant que prof ''d’une matière'', on oublie trop souvent que nous n’avons qu’une vision partielle, et au final très limitée, de nos élèves : un élève moins intéressé et/ou moins ''doué'' en sciences, par exemple, peut être très doué dans d’autres matières, chose dont on ne peut pas se rendre compte si on ne quitte pas notre classe. »
Diego, professeur de sciences, degré supérieur, 30 ans
« Non, être enseignant demande beaucoup de motivation. Tout le monde pense qu’en rentrant chez nous, nous ne faisons rien, mais c'est faux ! Nous préparons nos activités pour les prochains mois, nous nous concertons, nous corrigeons tous les devoirs et les contrôles, nous préparons les bulletins, etc. »
Jonas, instituteur primaire, 27 ans
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Votre formation d'enseignant a-t-elle été adéquate, vous a-t-elle plutôt bien préparé au métier ?
« Pas du tout, à l'Université,les cours de didactique générale sont presque tous inintéressants, ils ne sont pas assez concrets. Le nombre de stages est aussi trop faible, nous ne devons donner que 40 heures de cours, cela représente 2 semaines de boulot à temps plein, c’est ridicule ! En chimie, nous ne sommes pas obligés de donner des heures de biologie ou de physique pendant les stages, alors que nous pouvons donner ces matières en classe. J’ai pour le moment donné plus de bio et de physique que de chimie…
Les stages ne se passent pas non plus en ''conditions réelles'' : le maître de stage étant dans la classe, la gestion de la discipline, par exemple, est beaucoup plus facile qu’en réalité ».
Diego, professeur de sciences, degré supérieur, 30 ans
« Je pense personnellement qu'enseigner, c'est un don et ça ne s'apprend pas. On l'a ou non. La patience, par exemple, ça ne s'apprend pas... »
Denis, professeur de math, degré supérieur, 51 ans.
« Non. Il m’aurait fallu beaucoup plus de ressources afin d’aller puiser la matière de mes cours. Parfois, je me retrouve comme une adolescente à éplucher internet car je n’ai aucune idée de vers quoi me tourner. »
Justine, professeur de français, promotion sociale, 25 ans
« Absolument pas ! Elle nous a appris les grandes théories de l’enseignement, mais pas l’adaptation au terrain... Les stages étaient vraiment utiles, mais il en faudrait beaucoup plus ! Il faudrait revoir TOUTES les matières que l’on devra enseigner, avoir plus de méthodes didactiques différentes pour enseigner le même chapitre, avoir beaucoup plus de gestions de groupes, être préparés à réagir face à des élèves difficiles, il faudrait également nous enseigner la gestion de programmes et de planning. »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
Le meilleur de ce métier : c'est...
« Le fait de pouvoir être maître absolu de sa propre classe (en ce qui concerne les prépas, la manière de gérer ses activités, son temps, ses élèves…). Il y a une certaine forme de liberté inhérente au métier d’enseignant dont beaucoup de gens ne bénéficient pas dans le cadre de leur boulot. »
Nathalie, professeur d'anglais, degré inférieur, 28 ans
« Le lien que nous créons avec les élèves. »
Jonas, instituteur primaire, 27 ans
« Le plaisir de la transmission du savoir. »
Denis, professeur de math, degré supérieur, 51 ans.
« Le contact humain et la reconnaissance. »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
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Le pire dans ce métier, c'est...
« Le manque de considération et de reconnaissance de la part de certains parents, directeurs, et même de la société de manière générale. L’enseignant n’est pas suffisamment valorisé et considéré. Le gouvernement souhaite d’ailleurs donner de moins en moins d’argent à l’enseignement chaque année. Pourtant, c’est un secteur qui devrait être privilégié, vu que ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui feront le monde de demain. »
Nathalie, professeur d'anglais, degré inférieur, 28 ans
« Devoir ''éduquer'' les élèves. Certains jours, avec certaines classes, je me disais même ''ouf, j'ai survécu''. C'est un peu triste de se dire que parfois, le pire dans l'enseignement, ce sont les élèves... »
Emma, prof de français degré supérieur, 26 ans
« La quantité de travail que demandent la préparation des cours et les corrections. »
Josée, professeur de néerlandais, 57 ans
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Avant de commencer ma carrière, je ne me rendais pas compte que...
« Ce métier demandait tant d'investissement. Qu'il s'agisse de l'énergie déployée en classe ou du temps octroyé chaque soir et chaque week-end à l'élaboration de leçons et aux corrections. Cette année, j'avais un temps plein, ce qui correspond à 20h sur place, donc. Lorsque je calculais le nombre d'heures sur place + les heures à bosser chez moi, j'en étais à 50h par semaine... Et évidemment, personne ne s'en rend compte. »
Emma, prof de français degré supérieur, 26 ans
« Je ne me rendais pas compte de l’éventail de publics tellement différents auxquels nous sommes confrontés en tant qu’enseignants. L'hétérogénéité peut être étonnante, même au sein d'une seule classe. »
Nathalie, professeur d'anglais, degré inférieur, 28 ans
« J’allais y prendre autant de plaisir ! »
Diego, professeur de sciences, degré supérieur, 30 ans
« Le programme minuterait chacun de mes pas toute l’année... pas possible de prendre vraiment le temps pour expliquer aux élèves... »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
« Les leçons ne se déroulent pas du tout comme on le prévoit à l’avance ; il faut souvent se remettre à jour, modifier son planning, etc. »
Gérôme, professeur de math, degré inférieur, 26 ans
A chaque veille de rentrée, je...
« Me réjouis de voir quelles nouvelles têtes j'aurai dans mes classes. »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
« Me demande si je vais retrouver un intérim... »
Emma, prof de français degré supérieur, 26 ans
« Suis pressé de retrouver mes élèves et mes collègues ! »
Jonas, instituteur primaire, 27 ans
« Suis toujours un peu nerveuse, mais heureuse de recommencer et de rencontrer mes nouvelles classes. »
Nathalie, professeur d'anglais, degré inférieur, 28 ans
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Des statistiques montrent qu'environ 60% des jeunes enseignants quittent l'enseignement dès les cinq premières années de métier, comment expliquez-vous cela ?
« Le plus difficile est l’entrée en fonction et trouver une place stable (réaffectation, heures non vacantes, priorités diverses des plus anciens, etc.), mais une fois que le jeune enseignant a une place, c’est un des métiers qui a le plus grand taux de stabilité ! La solution : réformer tout le système des nominations et autoriser les inspections et les directions à faire le ménage des enseignants qui n’en touchent plus une ! »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
« Je pense que devenir enseignant doit être un choix bien réfléchi, pas un second choix. J’ai 25 ans, et à 15 ans, je savais déjà que je serais professeur de français. Je me voyais déjà entrer dans une classe, avec mon air de prof, et faire régner une ambiance qui m’était propre, à la fois stricte et sympa. S’il s’agit du métier que l’on veut exercer, il faut s’accrocher, chercher des solutions à nos obstacles, discuter (beaucoup) avec ses collègues afin d’avoir des conseils ».
Justine, professeur de français, promotion sociale, 25 ans
« Je suis moi-même jeune enseignante et ai déjà sérieusement pensé à arrêter plusieurs fois. D'ailleurs, je pense que si je n'avais pas tant de difficultés à trouver un autre emploi dans ma branche, je l'aurais déjà fait. C'est difficile pour plusieurs raisons : la charge de travail qu'on n'imagine certainement pas, le fait d'être baladé d'un intérim à un autre aux quatre coins de la Belgique, être mal considéré par l'ensemble de la société, le manque de soutien de la part des écoles elles-mêmes, les difficultés administratives, se retrouver face à des élèves qui vous testent, ne vous respectent pas, sont totalement désintéressés et face à des parents qui s'attendent à ce que vous éduquiez leurs enfants à leur place. Tout ça, ça met vraiment les nerfs à rude épreuve, même s'il y a aussi évidemment des côtés positifs à ne pas négliger, il faut se focaliser dessus pour tenir. »
Emma, prof de français degré supérieur, 26 ans
« C’est un métier où on doit investir beaucoup de temps et d’énergie, pour souvent récolter beaucoup d’échecs et qui, de surcroît, est très mal payé, à diplôme équivalent avec les professions du secteur privé. Il faut savoir que les deux mois de vacances des enseignants ne sont pas payés : les enseignants reçoivent annuellement 10/12èmes de leur traitement, répartis sur 12 mois. De plus, de moins en moins de moyens sont octroyés à l’enseignement, ce qui rend le travail des enseignants encore plus pénible. Au-delà de ça, la société a beaucoup changé, surtout grâce aux (ou à cause des ?) nouvelles technologies. L’enseignement, lui, a du mal à s’adapter aux nouvelles façons de vivre et de se comporter de nos jeunes. »
Josée, professeur de néerlandais, 57 ans
« Pour moi, c’est dû à la difficulté de trouver un emploi stable. Les premières années sont faites de nombreux remplacements pour la plupart des nouveaux profs. C’est difficile parce qu’il faut à chaque fois se réhabituer à des modes de fonctionnements différents, de nouveaux collègues, de nouveaux élèves... Les élèves sont aussi plus difficiles à gérer, le remplaçant n’étant pas là pour longtemps… En début de carrière, nous devons également créer nos notes de cours. Les profs que nous remplaçons ne nous fournissent pas toujours les leurs, nous devons donc parfois les créer pour le lendemain. Pourtant, je pense que je peux m’estimer heureux, je n’ai jamais eu de mal à trouver un nouveau remplacement à la fin du précédent. Il faut s'accrocher les premières années ! »
Diego, professeur de sciences, degré supérieur, 30 ans
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Le pacte d'excellence pourrait-il relever la barre ?
« S’il s’agit de la barre du savoir et des acquis, sûrement pas. Le seuil des exigences se voit encore abaissé : nous étions déjà passés à l’évaluation par degré, ce qui implique que l’élève en difficulté, dès la 1èreannée, n’était arrêté qu’après 2 années.
Dans le pacte d’excellence, le mode sans échec est porté à 3 ans ; 3 années pendant lesquelles TOUS les élèves devront suivre les mêmes cours généraux au même niveau… Pour l’élève peu doué, ce sera très pénible ; en même temps, le rythme de la classe en sera ralenti et l’élève doué et avide de savoir risquera sans doute de s’ennuyer…
On pourrait rêver à des moyens dégagés par les autorités publiques pour favoriser des remédiations dignes de ce nom, mais c'est difficile à croire... »
Josée, professeur de néerlandais, 57 ans
« Comme beaucoup de collègues, je ne sais même pas réellement ce que propose le pacte... C'est un peu compliqué et nos écoles ne nous informent pas vraiment sur le sujet. »
Denis, professeur de math, degré supérieur, 51 ans.
« Je pense que l’enseignement a besoin d’une grande réforme et que le pacte contient de bonnes idées. Mais si ces réformes sont faites dans un but économique ou parce que ''ça marche ailleurs'', la situation ne s’améliorera pas. »
Diego, professeur de sciences, degré supérieur, 30 ans
« S’il s’agit de la barre du ''niveau'' des élèves, non ! Ni celle de l’égalité, ni de l’équité, ni de l’orientation... Je ne vois pas beaucoup de points positifs au pacte... Il va enfermer les élèves dans un tronc commun qui a déjà démontré ses faiblesses dans d’autres pays (France). Ici, on veut faire du ''made in Finland''avec 25 élèves par prof, les remédiations en fin de journée, une tentative d’ouverture à la Belge qui n’ouvrira rien du tout... Et surtout, aucune orientation possible avant 15 ans et un certificat à la clé (obtenu par tous, s’il est dans la même lignée que le CE1D). Ces futurs jeunes ne seront absolument pas prêts à se prendre en main et à affronter l’université ou la haute école. »
Baptiste, professeur de math, degré inférieur, 24 ans
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Témoignages recueillis par Anaïs
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