Spielberg Forever


2018 est à peine entamée et la machine à Golden et Oscar est en branle. Au milieu de cette agitation, l’exaltation la plus flagrante vient d’un film à priori tellement sérieux : The Post réalisé par le grand, le fort, le célèbre Steven Spielberg. C’est un film exaltant à trois égards: il est entrainant, engagé et livre une superbe leçon de mise en scène. 

En 1971, tout juste un an avant l’affaire du Water Gate, une étude sur la responsabilité des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam est rendue publique par le New York Times. Ce document de 7000 pages, ultraconfidentiel, dévoile trente ans de mensonge envers le peuple américain. À l’époque Richard Nixon a intenté un procès  au New York Times puis au Washington Post pour les empêcher de publier ces informations. Le film s’intéresse non pas aux journalistes du Times qui étaient les premiers sur la balle mais bien à Katharine Graham, alors directrice du Washington Post, ainsi qu’à son rédacteur en chef Ben Bradlee. Katharine Graham fut la première femme directrice de la publication d’un grand journal américain. C’était carrément improbable à l’époque, pour une femme, de se retrouver à un tel poste. Cette bourgeoise qui savait surtout organiser de belles et grandes fêtes s’est retrouvée là suite au suicide de son mari.

À la tête du journal, Katharine navigue dans un monde d’homme où elle peine à imposer sa barque. Le film raconte comment cette dame s’est muée en héroïne après avoir pris une décision. Le film parle de ça : de cet instant T, celui où Katharine a tout à perdre et décide, par responsabilité civique mais aussi pour faire honneur à son héritage, de tourner le dos aux mondanités qui lui sont chères. « Bon, et bien, moi, je vais me coucher » dit-elle après avoir pris sans doute la plus importante décision de sa vie. À cet instant-là, Katharine vient de glisser un caillou dans la chaussure du machisme en osant penser et agir par elle-même. Et vous le savez déjà : Meryl Streep est magistrale dans le rôle de cette femme un peu maladroite.


Le film parle aussi de ça : comment les décisions fondatrices de la sociétés sont prises par seulement une poignée de gens. Parfois une seule personne. Et je ne parle pas forcément de la décision de Katharine mais plutôt des décisions politiques. À cet égard, le scénario adosse presque une vocation pédagogique car il rappelle le rôle essentiel de la presse comme quatrième pouvoir au sein de nos sociétés gouvernées. Cet aspect résonne bien sûr avec l’actualité des Etats-Unis dont l’administration de Trump attaque sans cesse la liberté des médias.

Au fond, Spielberg s’est rarement montré protestataire dans sa filmographie faite de grands spectacles, de fantaisie, de blockbusters. Il s’est en effet montré peu engagé sur la guerre au Vietnam quand ses collègues (Coppola, Cimino et cie) se mouillaient. Et, comme s’il ne voulait pas terminer sa carrière sur du divertissement, comme pour être sûr de partir sur ce qui importe le plus, le voilà depuis Lincoln et Le pont des espions à s’engager sur les conflits des Etats-Unis. Avec The Post, Spielberg montre comment les politiques ne se tiennent pas spontanément aux valeurs fondatrices de leur parti.

Si le film a la veine politique et engagée des Hommes du président, il est aussi et surtout réjouissant. Il fait bondir le spectateur sur son siège, l’implique dans l’Histoire en lui rappelant que lui aussi en fait partie. En plus d’être intelligent sur le fond, The Post est aussi l’occasion d’une grande leçon de mise en scène, impressionnante. Il nous transporte dans une époque, celle des années 70. Et pour les journalistes ou tous ceux qui sont intéressés par ce milieu, le film est agréable à voir pour les rouages de ce monde qu’il dévoile de A à Z. Tout se passe en intérieurs confinés, dans des bureaux, où ne se déroulent pour seules actions que des discussions. Et c’est passionnant.




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