Numéro quatre de l'Etat après le Roi, c'est
peu dire que Christigne Defraigne a réussi l'amalgame de l'autorité et du
charme. De là à l'appeler Monsieur, il y a un pas que l'on ne franchit pas.
Libre et libérale, d'aucuns lui reprochent volontiers de n'en faire qu'à sa
tête. Un trait typiquement liégeois ?
Christine Defraigne, elle a un côté avenant et chaleureux. Loin des habituelles poignées de main et de la bienséance
formelle, lorsqu'elle arrive, on se fait la bise. Liège oblige. Pourtant,
niveau protocle, elle en connaît un rayon. Logique pour celle qui occupe des postes à tous
les étages de l'appareil étatique. Conseillère communale, elle est aussi
députée régionale, députée de Commaunauté et Présidente du Sénat. Le
fédéralisme belge personifié.
Christine Defraigne, elle est surtout Liégeoise, et puis femme aussi. Deux traits caractéristiques qui sont parfois
vus avec méfiance en politique. Ca ne lui empêche pas d'avoir un site internet
personnel rose fuschia. Une raison suffisante pour débuter l'interview avec un
pékèt violette (une question personnelle ; voir ici pour plus d'infos sur le concept). On reste dans les tons.
Être femme en politique, est-ce une barrière
ou une opportunité ?
Une opportunité, je ne dirais pas, mais ce
n'est pas pour autant une barrière. Il ne faut pas verser dans les clichés. Le
fait est que les femmes représentent 50% de la population et que des femmes, il
en faut aussi en politique. C'est une question d'équilibre. Mais nous vivons
dans une société où la charge est plus conséquente pour les femmes, qui doivent
souvent assumer le gros des responsabilités familiales. La politique n'échappe pas
à cela.
Comme mère de famille, il m'arrive de culpabiliser.
Les quotas sont-ils une réponse adéquate ?
Au départ, j'étais contre, car les femmes ne
sont pas une réserve protégée, mais j'ai changé d'avis. C'est je pense un mal
nécessaire. La réalité, c'est aussi qu'on a du mal à trouver des candidates.
J'observe une régression dans l'engagement.
Qu'est-ce qui explique cette réticence à
l'engagement ?
Alors que c'est une profession noble, le
monde politique est aussi un milieu violent et âpre. Ce n'est pas toujours
facile. Ca ne devrait pas être comme ça.
J'ai le sentiment que les femmes permettent d'apporter davantage de liant, des règles du jeu plus respectueuses.
Et la Présidente du Sénat de citer un épisode
de House of Cards dans lequel Frank Underwood, avec son cynisme habituel, explique
à Jackie Sharp que la trahison fait partie intégrante de la vie politique… un milieu
professionnel qui ne fait pas de cadeau ? Sans aucun doute, Chrisitine
Defraigne en a fait l'expérience. Le moment opportun pour moi de lui servir
un peket citron et de l'interroger sur ses coups de gueule récents…
A plusieurs reprises, vous êtes allée à
contre-sens de la ligne de votre parti, par exemple lors du vote sur les
visites domiciliaires. Vous sentez-vous trahie par le MR?
Il y a parfois des moments difficiles, mais
il faut avoir l'audace de ses convictions. Si je me suis engagée en politique,
c'est au nom de la liberté. Quand des valeurs fondamentales sont en jeu, il
faut les défendre.
L'audace, c'est une caractéristique qui est
récompensée en politique?
Dans un parti, il faut une discipline, mais
la prise de position sur les visites domiciliaires, nous l'avons prise en
interne à Liège ville. C'est une décision collective qui s'inscrit dans une
méthode de travail. C'est aussi une décision réfléchie. Nous nous y sommes
opposés, car elle n'était ni nécessaire, ni efficace, ni proportionnée.
Les droits fondamentaux, ils se respectent. Ils ne se négocient pas.
On l'aura compris, la liberté, Christine
Defraigne en a fait son cheval de bataille, qu'elle défend avec emphase. Une
ligne qui semble parfois difficile au sein d'un parti qui multiplie les
invectives à droite. Pour en avoir le cœur net, je lui tends un peket
framboise, sur l'idéologie de son parti.
En Wallonie et à Bruxelles, conservatisme et
libéralisme, c'est bonnet bleu et bleu bonnet?
Non, c'est quelque chose que je récuse tout à
fait. Être libéral, c'est encourager le progrès et l'optimisme. C'est l'inverse
d'être conservateur. A Liège, cela s'accompagne de l'expression d'une âme
liégeoise d'ouverture, de tolérance et de responsabilité.
Dans tout parti, il s'exprime des sensibilités différentes. Ca je le respecte.
Si on veut éviter les dérives, il
faut entendre l'inquiétude des populations. Il faut être à l'écoute. Partout en
Europe, on voit les lignes bouger. Salvini, c'est presque la marche de
Mussolini. Je ne blâme pas les citoyens, mais l'absence de réponse politique.
C'est l'Europe qui a causé ça. Demain, nous pouvons tous êtres des réfugiés.
Le MR, parti du progrès aux antipodes du conservatisme
? Il reste qu'au gouvernement, certaines prises de positions font parfois grincer des dents. En tant que partenaire de coalition, peut-on seulement en
faire abstraction ? C'est l'occasion de tendre à mon invitée un pékèt cuberdon
et d'injecter une dose de politique fédérale à notre échange.
La N-VA en 2019, stop ou encore ?
Vous savez, une coalition, c'est un attelage,
ce n'est pas une assimilation. La N-VA est un parti qui a un écho et il faut en
tenir compte. On a bien été en coalition avec les socialistes, ça n'a pas fait
de nous des socialistes. La vie avec la N-VA n'est certainement pas simple,
comme avec d'autres. Sauf qu'ici, nous sommes dans une configuration inédite.
Comme nous sommes la seule formation politique francophone du gouvernement, on reçoit tout en première ligne, parfois de manière injuste. C'est difficile quand on est le seul partenaire.
Personnellement, j'aurais préféré une
tripartite traditionnelle à tous les étages, mais cette possibilité a été tuée par la décision absurde d'Elio Di Rupo et Paul Magnette de former un
gouvernement régional en amont. Un parti qui a de son côté négocié plus de 500
jours avec la N-VA.
Christine Defraigne a beau faire figure de
tête-brulée, sur la question, elle se range à 100% derrière son parti.
Qu'importe les querelles internes, dans un parti, il faut de la discipline.
Après tout, c'est elle qui l'a dit. On sent d'ailleurs la libérale échauffée
sur la question. Je n'insiste pas. L'interview est déjà bien entamée, et on n'a pas
encore discuté de Liège. Pour conclure en beauté, je lui tend un pékèt nature,
pour discuter de la Cité.
Le retour du MR aux commandes de la ville,
concrètement, ça signifie quoi ?
Le MR à Liège, c'est à la fois une méthode et
un projet. Notre méthode, elle part d'un constat lucide. Celui que la ville est
restée figée dans les années 1970. Trop souvent la réponse à Liège est :
"on a toujours fait comme ça". Pourtant, les chantiers sont énormes.
Liège doit retrouver le chemin de la modernité. Quand on dit ça, on est taxé de mauvais Liégeois, mais nous, nous
sommes des patriotes.
Il faut repartir des fondamentaux. Notre
projet politique vise une meilleure qualité de la vie pour tous les Liégeois,
une gestion responsable qui prend en compte la participation citoyenne et la
création d'une métropole moderne et ambitieuse, qui favorise la cohésion et
lutte contre la pauvreté. Aujourd'hui, la ville fait face à d'importantes
difficultés financières. Il faut renouer avec la prospérité. Nous sommes aussi
les seuls à pouvoir faire rempart au PTB, porteur de pauvreté et d'exclusion.
Le MR peut pour cela s'appuyer sur son équipe, jeune, dynamique. Nous incarnons
le libéralisme de la main tendue. Des ponts et non des murs.
Voilà qui est dit. Le MR de Liège, rangé en ordre
de bataille, paré pour les communales. Le MR, parti de la liberté, du
progrès et … de la lutte contre la pauvreté. A Liège, rien en se fait comme ailleurs,
pas même les promesses électorales. Santé !
Les pekets consommés durant l'interview sont fournis à titre gracieux par Patrick Constant, aux commandes de la distillerie de l’Espérance commerciale, qui fabrique à Montegnée le pékèt depuis plus de 180 ans, qu’il soit traditionnel ou remis au goût du jour. Loin d'encourager l'abus d'alcool sous quelque forme, l'interview barquette est prétexte à un moment de convivialité... et les interviewés ne sont nullement obligés de boire tous leurs pékèts.
Texte : Clément
Photos : Kath
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