Cinématografille : Je vous salue Malick


Certains ressentent les films de Terrence Malick comme des vieux relents de catéchisme. Pour d’autres qui acceptent de s’y projeter, ils sont des voyages philosophiques dans lesquels on s’emporte avec plaisir. Song to Song, en salles le 12 juillet, est sans conteste l’œuvre la plus touchante de ce cinéaste mystérieux, depuis sa Palme d’Or en 2011. 

2011, l’année de Tree of Life. D’abord, il y a cette grande salle de cinéma vide. Vide ! L’une des plus spacieuses de l’UGC De Brouckère de laquelle, souvent, émanent des senteurs de plats chauds et d’où résonnent des chuchotements. Les gens du quartier aiment y casser la croute. Et vas y que je te passe la sauce samouraï entre deux strapontins qui claquent. Mais c’est un mardi de juin, il fait chaud et c’est la dernière séance du soir. Je découvre Tree Of Life, seule.

On m’avait dit « c’est pesant, trop catho », j’avais lu « c’est gonflant ». Mais Dieu ne me fait pas peur car je ne crains pas le silence qui m’intrigue, au contraire. Alors j’ai affronté cet « L’Arbre de la vie », ce film au titre atroce - parce qu’il me fait penser à celui d’un biopic pédagogique sur Jésus Christ. Et puis un miracle agnostique s’est produit : exactement comme le dit un personnage du film : « un jour, on s'écroulera en larmes, et on comprendra toutes ces choses », j’ai pleuré, je me suis écroulée, seule dans la grande salle vide.  Tree of Life raconte le deuil. Sujet inénarrable et pourtant traité ici avec ce qu’il implique de questions, d’amour, de doute, de regret, de culpabilité. C’est bouleversant pour ceux qui s’y identifient. Quant à moi, j’ai quitté le ciné sans plus sentir mes pieds, seulement capable de penser à ce qui venait de me frapper au cœur.


Récemment, Song to Song – où l’on retrouve l’esthétique lumineuse si singulière du cinéaste - a réveillé mon intérêt endormi pour Terrence Malick. De quoi ça parle ? Faye (interprétée par la sublime Rooney Mara) est une jeune femme qui a soif de vivre mais s’abreuve aux mauvaises fontaines, cherchant la satisfaction dans le sexe brutal ou l’abandon. Elle désire une vie à n’importe quel prix et croit naïvement que l’expérience, quelle qu’elle soit, c’est mieux que pas d’expérience du tout. Dans cette routine sans ligne claire, il y a son amant, Cook (Michael Fassbender), un producteur musical vénal, provocateur et lubrique. Et il y a BV (Ryan Gosling), le récent petit ami aimant. Ce chanteur pense joliment que la musique allège le cœur. Le sien est bon.

C’est donc un triangle amoureux ! Rien d’original mais tout est dans la manière de raconter. La manière est ici en morceaux, lâchée par bribes d’évènements décontextualisés. La mise en scène est décousue, cadencée par les hasards de la musicale Austin et ses célèbres festivals (Austin City Limits Festival, South by Southwest et Fun Fun Fun Fest) C’est étonnant mais Terry –pour les intimes- ce vieux Texan au style ésotérique et mystique est complètement rock'n'roll ! Sur Twitter, les réactions ne sont pas tendres. Le film serait « chaotique ». Pourtant, j’ai trouvé dans cette manière de détricoter le récit, un effet ludique engageant et agréable. Car si la trame nous perd, elle finit par faire sens en fin de film et ça se déroule tellement naturellement que le spectateur est comblé de s’être laissé aller (car oui, le scénario mène bien quelque part). Armé de ses habitudes, Terrence Malick fractionne la vie pour montrer les choses, vraiment. Chaque détail compte. En effet, un peu autiste (je pense), ce réalisateur peut prendre du retard sur un tournage pour observer les insectes. Michael Fassbender, lors d’une présentation du film a commenté d’ailleurs cette pratique: "Tu es à fond dans ton rôle, et là tu te retournes et Terry est en train de filmer un scarabée".


Song to Song retrace les errances physiques et déambulations mentales de Faye. Comme toujours, la caméra de Malick se promène elle aussi. Là, Rooney Mara danse, plus loin Michael Fassbender rampe, il imite un singe, Ryan Gosling tournoie,… Les voix off se questionnent sur leur vie, leur passé, l’attachement aux gens qu’on aime, toutes ces choses existentielles telles que « est-il possible de vivre dans le monde allant d’un instant à l’autre, d’une chanson à l’autre, d’un baiser à l’autre ? » ou « Suis-je une bonne personne ? En ai-je réellement envie ? Ou alors je veux seulement ressembler à ce que les gens attendent de moi ? ». Le style porte à rire quand on refuse d’y mettre une partie de soi. Pour ma part,  je l’ai encore une fois apprécié pour ce que j’ai pu y projeter de mes expériences ou doutes. Terrence Malick est de ces réalisateurs capables de vous perdre dans des plans hallucinants pour vous faire croire ensuite qu’ils vous appartiennent parce que vous les auriez rêvés.



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