Les syndicats sont
unanimes: ce 15 décembre, le pays sera à l'arrêt pour cause de grève générale
organisée en réponse aux mesures économiques annoncées par le gouvernement
Michel.
Largement relayée par les
médias nationaux et bénéficiant de l'appui d'une grande partie de la
population, cette grève ne fait pourtant pas l'unanimité et donne aux réseaux
sociaux des faux airs de "Questions à la Une", le débat faisant rage
entre les "pro-" et "anti-" grève.
Face au flot incessant
d'informations et d'avis contradictoires, on a voulu rencontrer deux liégeoises
aux opinions divergentes et leur donner l'opportunité d'expliquer les raisons
derrière leur décision d'aller travailler ou pas ce lundi. Dans un contexte
moins houleux que les débats enflammés par statuts Facebook interposés, elles
ont pris le temps de détailler leurs positions qui, bien que diamétralement
opposées, soulèvent néanmoins toutes les deux des questions cruciales quant à
la situation politico-sociale actuelle en Belgique. Employée dans le privé,
Mathilde sera à son poste ce lundi. Sarah, elle, ne remplira pas ses fonctions
d'animatrice politique et prendra part à la grève générale- elles nous
expliquent pourquoi ci-dessous.
Bien qu'une génération les
sépare et qu'elles ont aujourd'hui des convictions politiques diamétralement
opposées, Mathilde et Sarah ont pourtant grandi dans des environnements
similaires: toutes deux issues de familles aisées, leur enfance a été bercée
par les idéaux socialistes chers à leurs proches.
Si Mathilde se reconnaît
aujourd'hui dans les valeurs défendues par le Mouvement Réformateur, il n'en a
pas toujours été ainsi: "je suis issue d’une famille socialiste, mes
grands-parents ayant d’ailleurs participé à la création du syndicat des
ouvriers carriers, ce qui faisait la fierté de toute ma famille -moi
comprise!-, mais lorsqu'ils faisaient grève, c’était, à l’époque, pour de
bonnes raisons, pour obtenir des avancées sociales. A l’heure actuelle, dans
certains secteurs les dirigeants syndicaux ne savent même plus maintenir leurs
troupes et des débrayages spontanés ont lieu sans préavis, pour des raisons
parfois très discutables, prenant en otage toute la population...". Pour elle, il est tout bonnement inconcevable
de cautionner la grève générale annoncée aujourd'hui: " Elle est
purement politique, fomentée par le Parti Socialiste. Elle a été décidée avant
l’accord gouvernemental sans concertation préalable, et sans même attendre de
savoir ce que le gouvernement fédéral allait proposer".
Sans pour autant adhérer aux
idées de la N-VA, il est important pour Mathilde de rappeler que ce parti a été
plébiscité par près de 40% des électeurs du Nord du pays - ce résultat
électoral impressionnant s'expliquant en partie selon elle par les manquements
du PS: "Plutôt que de nous offrir le spectacle affligeant d’anciens
ministres, députés et autres élus, maintenant dans l’opposition au fédéral
vociférant haineusement et crachant leur venin, ces mêmes élus devraient se
remettre en question et se demander si cette poussée d’extrême droite n’est pas
le fruit des erreurs et des incompétences des législatures antérieures
-lorsqu’ils étaient au pouvoir!- tant au niveau politique qu’économique et
social…A vouloir pratiquer le clientélisme comme mode de fonctionnement systématique,
ils n’ont pas mis les bonnes personnes à la bonne place…".Sur ce point, Sarah ne lui donne pas tort, ajoutant qu'on "ne peut pas tenir avec un parti comme avec une équipe de foot, de père en fils", ainsi qu'en atteste son engagement au sein d'Ecolo depuis quelques années. Si toutes deux n'hésitent pas à rejeter une part de responsabilité dans la crise politique actuelle sur l'opposition, leur
décision de (ne pas) prendre part à la grève d'aujourd'hui est moins motivée
par leur identification à un quelconque parti que par leurs valeurs
personnelles.
Pour Sarah, il ne s'agit pas
de faire grève en réaction aux idées d'un parti ou pour soutenir les idées de
son opposant mais bien pour dénoncer les mesures d'austérité: "Je
soutiens tous les mouvements anti-austérité -même sous le gouvernement Di Rupo,
il n'y a pas que celui ci qui la pratique!- parce que très pragmatiquement, si
on parle de relancer l’économie, c’est absurde de faire de l’austérité: plus on
va virer des gens moins ils auront de pouvoir d’achat moins ils vont relancer
l’économie donc on est dans un double discours qui est complètement aberrant". La jeune femme parle d'expérience quand elle
dénonce la conjoncture économique actuelle: détentrice de deux Master
universitaires, elle va de CDD en CDD depuis son diplôme en 2012 et son
mi-temps à durée déterminée actuel ne lui permet pas de se projeter dans
l'avenir - ce qui ne l'empêche pas de se rendre compte qu'elle fait néanmoins
partie des privilégiés: "déjà pour moi, c'est dur, alors pour les
personnes qui n'ont pas eu la même chance que moi, c'est carrément de la survie".
Mathilde, elle, a eu la
chance de ne pas connaître la situation anxiogène que vivent aujourd'hui les
jeunes diplômés lâchés dans un marché de l'emploi peu disposé à les accueillir.
Cette cinquantenaire a jusqu'à présent eu une carrière stable et fêtera bientôt
ses 30 ans d'ancienneté au sein de la même entreprise- un scénario qui semble
bien lointain pour une grande partie de la génération Y dont nous faisons
partie.
En effet, ainsi que le
souligne Sarah, "on est la première génération qui vivra moins bien que
nos parents, tant en terme d'environnement dans lequel nous vivons qu'en termes
de qualité de vie et de pouvoir d'achat" - une situation certes préoccupante mais qui ne justifie pas
selon elle la désolidarisation actuelle des travailleurs belges: "pour
le moment, on dresse les travailleurs contre les travailleurs en disant 'on
vous empêche d’aller travailler, on bafoue votre droit au travail'…Je peux
comprendre qu’il y a des gens qui sont fâchés parce qu’ils vont perdre de
l’argent mais je crois qu’on oppose vraiment deux catégories de gens qui en
fait ont les mêmes intérêts",
un point de vue que ne partage pas Mathilde:
"Dans notre constitution démocratique, figure le
droit de grève, mais aussi le droit au travail pour tous. Les syndicats abusent
du premier, et ne respectent pas le deuxième, pourtant aussi important. J’ai
été personnellement choquée de constater, le premier décembre, que des
grévistes s'en prenaient à des travailleurs, les molestant, ou dégradant leur
véhicule… Dans quelle société vivons-nous ? Est-ce par la grève et la violence
qu’une société progresse ?".
A ce sujet, Sarah est
catégorique. Pour elle, il n'y a qu'une solution pour avancer, c'est d'avancer
ensemble, et c'est cette foi en une société plus solidaire qui la poussera à
rejoindre les rangs des grévistes: "Lundi, je prendrai part à la grève
parce que je crois qu’il y a moyen de faire les choses différemment de ce qu’on
est en train de nous présenter comme la seule solution. Pour moi il y a moyen
de faire autrement de manière beaucoup plus solidaire et plus incluante". Si Mathilde la rejoint sur la nécessité de
mesures incluant l'ensemble de la société, pour elle, faire grève aujourd'hui
n'est pas la solution: "Plutôt que de faire grève ce lundi, je préfère
laisser à ce gouvernement (qui a hérité de dossiers épouvantables et d’un
déficit budgétaire colossal), une chance et un peu de temps pour mettre en
place des mesures visant à rétablir une situation économiquement, et donc,
socialement plus acceptable pour tous. Evidemment, cela passe par des
mesures qui déplaisent, mais sont indispensables, puisque les gouvernements
précédents ne se sont pas encore rendu compte que les « golden sixties »
étaient loin derrière nous, et que les crises successives connues par la suite
imposaient moins de largesse et plus de rigueur !".
Quant à nous, à l'image de
Mathilde et Sarah -et du reste du pays-, nos opinions politiques et nos
systèmes de valeurs divergent; mais si nous nous positionnons toutes à des
endroits différents sur l'échiquier politique, nous n'en restons pas moins
convaincues qu'une solution au malaise socio-économique ambiant est possible et
qu'il ne faut pas la chercher bien loin: après tout, notre devise n'est-elle
pas "l'Union fait la force"? Du coup, toutes couleurs politiques
confondues, on fera unanimement grève aujourd'hui: grève des statuts facebook
venimeux et des pseudo débats politiques stériles, grève des opinions
préconçues et des préjugés reçus - ça n'aura aucun impact sur les mesures du
gouvernement, mais arriver à se serrer les coudes, c'est déjà un sacré pas en
avant.
( pour ceux et celles qui ne l'auraient pas encore lue,
une BD tente d'expliquer le pourquoi du comment des grèves à répétition en
Belgique, on vous la conseille vivement!)
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