15.12.14: la situation est grève.




Les syndicats sont unanimes: ce 15 décembre, le pays sera à l'arrêt pour cause de grève générale organisée en réponse aux mesures économiques annoncées par le gouvernement Michel.
Largement relayée par les médias nationaux et bénéficiant de l'appui d'une grande partie de la population, cette grève ne fait pourtant pas l'unanimité et donne aux réseaux sociaux des faux airs de "Questions à la Une", le débat faisant rage entre les "pro-" et "anti-" grève.

Face au flot incessant d'informations et d'avis contradictoires, on a voulu rencontrer deux liégeoises aux opinions divergentes et leur donner l'opportunité d'expliquer les raisons derrière leur décision d'aller travailler ou pas ce lundi. Dans un contexte moins houleux que les débats enflammés par statuts Facebook interposés, elles ont pris le temps de détailler leurs positions qui, bien que diamétralement opposées, soulèvent néanmoins toutes les deux des questions cruciales quant à la situation politico-sociale actuelle en Belgique. Employée dans le privé, Mathilde sera à son poste ce lundi. Sarah, elle, ne remplira pas ses fonctions d'animatrice politique et prendra part à la grève générale- elles nous expliquent pourquoi ci-dessous.

Bien qu'une génération les sépare et qu'elles ont aujourd'hui des convictions politiques diamétralement opposées, Mathilde et Sarah ont pourtant grandi dans des environnements similaires: toutes deux issues de familles aisées, leur enfance a été bercée par les idéaux socialistes chers à leurs proches.
Si Mathilde se reconnaît aujourd'hui dans les valeurs défendues par le Mouvement Réformateur, il n'en a pas toujours été ainsi: "je suis issue d’une famille socialiste, mes grands-parents ayant d’ailleurs participé à la création du syndicat des ouvriers carriers, ce qui faisait la fierté de toute ma famille -moi comprise!-, mais lorsqu'ils faisaient grève, c’était, à l’époque, pour de bonnes raisons, pour obtenir des avancées sociales. A l’heure actuelle, dans certains secteurs les dirigeants syndicaux ne savent même plus maintenir leurs troupes et des débrayages spontanés ont lieu sans préavis, pour des raisons parfois très discutables, prenant en otage toute la population...". Pour elle, il est tout bonnement inconcevable de cautionner la grève générale annoncée aujourd'hui: " Elle est purement politique, fomentée par le Parti Socialiste. Elle a été décidée avant l’accord gouvernemental sans concertation préalable, et sans même attendre de savoir ce que le gouvernement fédéral allait proposer".

Sans pour autant adhérer aux idées de la N-VA, il est important pour Mathilde de rappeler que ce parti a été plébiscité par près de 40% des électeurs du Nord du pays - ce résultat électoral impressionnant s'expliquant en partie selon elle par les manquements du PS: "Plutôt que de nous offrir le spectacle affligeant d’anciens ministres, députés et autres élus, maintenant dans l’opposition au fédéral vociférant haineusement et crachant leur venin, ces mêmes élus devraient se remettre en question et se demander si cette poussée d’extrême droite n’est pas le fruit des erreurs et des incompétences des législatures antérieures -lorsqu’ils étaient au pouvoir!- tant au niveau politique qu’économique et social…A vouloir pratiquer le clientélisme comme mode de fonctionnement systématique, ils n’ont pas mis les bonnes personnes à la bonne place…".Sur ce point, Sarah ne lui donne pas tort, ajoutant qu'on "ne peut pas tenir avec un parti comme avec une équipe de foot, de père en fils",  ainsi qu'en atteste son engagement au sein d'Ecolo depuis quelques années. Si toutes deux n'hésitent pas à rejeter une part de responsabilité dans la crise politique actuelle sur l'opposition, leur décision de (ne pas) prendre part à la grève d'aujourd'hui est moins motivée par leur identification à un quelconque parti que par leurs valeurs personnelles.

Pour Sarah, il ne s'agit pas de faire grève en réaction aux idées d'un parti ou pour soutenir les idées de son opposant mais bien pour dénoncer les mesures d'austérité: "Je soutiens tous les mouvements anti-austérité -même sous le gouvernement Di Rupo, il n'y a pas que celui ci qui la pratique!- parce que très pragmatiquement, si on parle de relancer l’économie, c’est absurde de faire de l’austérité: plus on va virer des gens moins ils auront de pouvoir d’achat moins ils vont relancer l’économie donc on est dans un double discours qui est complètement aberrant". La jeune femme parle d'expérience quand elle dénonce la conjoncture économique actuelle: détentrice de deux Master universitaires, elle va de CDD en CDD depuis son diplôme en 2012 et son mi-temps à durée déterminée actuel ne lui permet pas de se projeter dans l'avenir - ce qui ne l'empêche pas de se rendre compte qu'elle fait néanmoins partie des privilégiés: "déjà pour moi, c'est dur, alors pour les personnes qui n'ont pas eu la même chance que moi, c'est carrément de la survie".
Mathilde, elle, a eu la chance de ne pas connaître la situation anxiogène que vivent aujourd'hui les jeunes diplômés lâchés dans un marché de l'emploi peu disposé à les accueillir. Cette cinquantenaire a jusqu'à présent eu une carrière stable et fêtera bientôt ses 30 ans d'ancienneté au sein de la même entreprise- un scénario qui semble bien lointain pour une grande partie de la génération Y dont nous faisons partie.
En effet, ainsi que le souligne Sarah, "on est la première génération qui vivra moins bien que nos parents, tant en terme d'environnement dans lequel nous vivons qu'en termes de qualité de vie et de pouvoir d'achat" - une situation certes préoccupante mais qui ne justifie pas selon elle la désolidarisation actuelle des travailleurs belges: "pour le moment, on dresse les travailleurs contre les travailleurs en disant 'on vous empêche d’aller travailler, on bafoue votre droit au travail'…Je peux comprendre qu’il y a des gens qui sont fâchés parce qu’ils vont perdre de l’argent mais je crois qu’on oppose vraiment deux catégories de gens qui en fait ont les mêmes intérêts", un point de vue que ne partage pas Mathilde:
 "Dans notre constitution démocratique, figure le droit de grève, mais aussi le droit au travail pour tous. Les syndicats abusent du premier, et ne respectent pas le deuxième, pourtant aussi important. J’ai été personnellement choquée de constater, le premier décembre, que des grévistes s'en prenaient à des travailleurs, les molestant, ou dégradant leur véhicule… Dans quelle société vivons-nous ? Est-ce par la grève et la violence qu’une société progresse ?". 
A ce sujet, Sarah est catégorique. Pour elle, il n'y a qu'une solution pour avancer, c'est d'avancer ensemble, et c'est cette foi en une société plus solidaire qui la poussera à rejoindre les rangs des grévistes: "Lundi, je prendrai part à la grève parce que je crois qu’il y a moyen de faire les choses différemment de ce qu’on est en train de nous présenter comme la seule solution. Pour moi il y a moyen de faire autrement de manière beaucoup plus solidaire et plus incluante". Si Mathilde la rejoint sur la nécessité de mesures incluant l'ensemble de la société, pour elle, faire grève aujourd'hui n'est pas la solution: "Plutôt que de faire grève ce lundi, je préfère laisser à ce gouvernement (qui a hérité de dossiers épouvantables et d’un déficit budgétaire colossal), une chance et un peu de temps pour mettre en place des mesures visant à rétablir une situation économiquement, et donc, socialement plus acceptable pour tous. Evidemment, cela passe par des mesures qui déplaisent, mais sont indispensables, puisque les gouvernements précédents ne se sont pas encore rendu compte que les « golden sixties » étaient loin derrière nous, et que les crises successives connues par la suite imposaient moins de largesse et plus de rigueur !".

Quant à nous, à l'image de Mathilde et Sarah -et du reste du pays-, nos opinions politiques et nos systèmes de valeurs divergent; mais si nous nous positionnons toutes à des endroits différents sur l'échiquier politique, nous n'en restons pas moins convaincues qu'une solution au malaise socio-économique ambiant est possible et qu'il ne faut pas la chercher bien loin: après tout, notre devise n'est-elle pas "l'Union fait la force"? Du coup, toutes couleurs politiques confondues, on fera unanimement grève aujourd'hui: grève des statuts facebook venimeux et des pseudo débats politiques stériles, grève des opinions préconçues et des préjugés reçus - ça n'aura aucun impact sur les mesures du gouvernement, mais arriver à se serrer les coudes, c'est déjà un sacré pas en avant.


( pour ceux et celles qui ne l'auraient pas encore lue, une BD tente d'expliquer le pourquoi du comment des grèves à répétition en Belgique, on vous la conseille vivement!)







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