Elle insiste pour qu'on la tutoie et qu'on l'appelle Vanessa, mais la tâche s'avère moins facile que prévu. Certes, quelques années seulement nous séparent, mais voilà, pour nous, elle sera toujours Madame Herzet.
Il faut dire que quand on l'a connue, c'était à l'époque où elle était encore prof de français, et bien plus que nos quelques années d'écart, la distance entre les bancs et le tableau traçait entre nous une frontière infranchissable.
Et pourtant, avec ses longs cheveux et ses yeux noircis aux kôhl, elle nous ressemblait plus qu'à ses collègues aux cheveux tirés, un sentiment renforcé par le sourire amusé qui ne quittait jamais ses lèvres.
Bien plus que la coolitude qui se dégageait d'elle, cependant, ce qui la distinguait des autres profs c'est surtout l'enthousiasme qu'elle mettait à nous communiquer sa passion pour la lecture. Par chance, tous les Liégeois peuvent aujourd'hui en profiter puisque
Afin de patienter jusqu'à l'édition 2016, on a demandé à Vanessa de partager avec nous (et vous!) ses auteurs liégeois préféré, afin de découvrir un autre aspect de notre belle Cité.
Récit d'une interview imaginée avec Luc Baba au fil des pages de ses livres.
* * *
Auteur d’une quinzaine de romans, comédien,
slameur, chanteur, animateur d’ateliers d’écriture, professeur d’anglais, Luc
Baba est né en 1970. C’est suite à la perte de ses crayons de couleur qu’il a commencé
à écrire vers l’âge de 7 ans et découvert que les mots étaient de nature à nous
faire voyager.
Discussion à bâtons rompus sur les plaisirs et
les pouvoirs de la littérature sur nos vies, avec l’un des auteurs-lecteurs
fétiches des Parlantes, quelque part entre Liège et l’océan…
L’enfance des mots
"Je me souviens qu’enfant le mot
« océan » me fascinait, car il rimait avec « géant » et
commençait par l’eau, puis la petite vague du s... Je voulais jouer avec les
mots. Et parmi tous ces mots, celui qui me touchait le plus était « invincible »,
parce que l’instituteur avait raconté l’histoire de la construction d’un
château de sable invincible. J’ai donc décidé que moi aussi je serais « invincible »,
c’est pourquoi j’ai écrit un petit texte qui s’intitulait ainsi.
Peu à peu j’ai cueilli les mots dans
la vie quotidienne, et comme je vivais dans un contexte de grand silence et
d’enfermement relatif dans la maison paternelle, les mots m’étaient d’un grand
secours, et l’écriture, le seul voyage possible. J’ai commencé à écrire des
poèmes, des rédactions... L’écriture était mon évasion, mon moyen de tromper
l’ennui. C’était ça ou tout casser.
Un des
premiers livres qui a marqué mon histoire d’écriture est Le Robinson du métro de Felice Holman, l’histoire d’un garçon
qui se cache dans le métro de New York, vole et vend des journaux trouvés. J’ai
voulu imiter cet enfant. J’ai donc fait une fugue vers l’âge de 11 ans, avec
l’idée d’aller vivre dans le métro de Paris. Un ami de mon père m’a retrouvé
dans une gare après trois jours. Cette expérience m’a conforté dans l’idée
qu’être patient et écrire était ce que j’avais de mieux à faire.
À 16 ans j’ai écrit mon premier petit
roman, intitulé La tenderie (jeu de
mots avec « l’attendri »), l’histoire d’un enfant qui tue son papa. Je
l’ai offert à mon père pour Noël. L’écriture est restée pour moi une forme de
révolte douce. La quête de la liberté est l’un des thèmes récurrents de mes
romans, lié à mon chemin. Comme la fuite, le voyage, l’exil aussi. "
Plaisir de lire :
La cage aux cris, Luce Wilquin, 2001 (Prix Pages d'or)
Le marchand de parapluies, Luce Wilquin, 2004
If, Luce Wilquin, 2005
Les sept meurtrières du visage, Luce Wilquin, 2013
Mark Twain, Les Aventures de Tom
Sawyer, 1876 et Les Aventures de
Huckleberry Finn, 1884
Si mon cœur est étroit, à quel sert-il que le monde
soit si vaste ? (proverbe arménien)
Tu parles !, ce n’est pas mon
histoire, c’est celle des langues. J’ai ressenti le besoin de quitter
l’introspection et l’étude de l’univers intérieur qui ont marqué mes premiers
romans. Je voulais me tourner vers le monde et regarder le plus loin possible.
Pendant deux ans, j’ai lu des livres de linguistes et feuilleté des
dictionnaires afin d’apprendre d’autres façons d’appréhender l’univers et le
quotidien. Puis j’ai eu envie de partager toutes ces notes personnelles tant
elles m’enchantaient. J’en ai donc fait un texte cohérent, que j’ai lu en 2014
lors du festival Les Parlantes (www.lesparlantes.be).
Le succès de cette lecture m’a encouragé à mettre mon texte en scène accompagné
d’un ami musicien, Quentin Léonard (www.quentinleonard.be).
Les scènes se sont succédé : le Festival de Stavelot, le Centre
Wallonie-Bruxelles à Paris, l’Etuve à Liège ou encore dernièrement le Centre
culturel d’Ans. C’est une merveilleuse aventure qui continue…
Plaisir de lire :
Claude Hagège, Halte à la mort des
langues, Odile Jacob, 2001
Claude Hagège, Dictionnaire
amoureux des langues, Plon-Odile Jacob, 2009
Mon roman préféré dans tous ceux que j’ai écrits
est peut-être Tout le monde me manque.
Mais il suscite des réactions antinomiques auprès des lecteurs : à
certains il fait du mal, alors que d’autres en ont fait leur livre de chevet.
John, le personnage central de ce bouquin, est la métaphore de toutes les
douleurs humaines : l’abandon, l’isolement, la trahison, l’impossibilité
de vivre en société, la rage… tout ça est en lui. Mais en même temps, il est
bon. Je l’ai laissé se démerder au fil du roman. Ses parents l’isolent et le
traitent comme un chien. Ça peut être effrayant. Ce n’est pas du cynisme, c’est
en fait une grande innocence ! Tout dépend d’où chacun en est avec ses
propres blessures.
Plaisir de lire :
Luc Baba, Tout le monde me manque,
Luce Wilquin, 2008
J’écris dans de nombreuses tavernes et terrasses
de Liège. Aussi dans des parcs et quelques endroits plus secrets, dont un
cloître... Je prends mon vélo et je passe d’un lieu à l’autre sur la même
journée. Quand j’ai besoin de me replonger dans mes notes, je travaille chez
moi, sur ma table de bureau, en fait une porte posée sur des caisses.
L’esprit et les gens de Liège m’inspirent plus
que les lieux. Par exemple, à la fin du long poème que je viens d’achever, Aquarium vide, j’évoque Liège pour finir
mon « tour d’immonde en quart de vin
rouge » par une note positive : la solidarité de commerçants et
des habitants de la rue St-Gilles, qui ont organisé il y a quelques années une
collecte pour offrir un chien à un monsieur aveugle n’ayant pas les moyens de
s’en acheter un nouveau.
Je me suis emparé de l’histoire du musée Curtius
(www.grandcurtiusliege.be) suite
à une commande des éditions Luc Pire. Pour l’écriture du Mystère Curtius, je me suis entouré de gens compétents : le
directeur des musées de la Ville, qui m’a permis d’accéder sans limites aux
salles, les responsables du musée, les guides… Je me suis d’abord informé sur
les secrets de ce lieu extraordinaire et méconnu, j’ai lu énormément aussi.
Lors de mes recherches, j’ai appris que le bâtiment avait été laissé à
l’abandon à une certaine époque et que des œuvres avaient disparu, ce qui a
suffi à éveiller ma curiosité et à m’inspirer une fiction. J’ai aussi découvert
l’existence, ignorée par beaucoup de Liégeois, du souterrain situé en face du
Curtius, qui servait de réserve de salpêtre à Jean de Corte pour la fabrication
de la poudre à canon. Ensuite je me suis amusé à jouer à « Et si on disait
que… ».
Certaines œuvres continuent de m’accompagner,
comme L’Enfant de Jules Vallès, un
roman magnifique et terriblement moderne pour l’époque. Don Quichotte habite aussi beaucoup mon imaginaire, et dans le
prolongement, un chef d’œuvre intitulé A
la mort de Don Quichotte de l’auteur espagnol Trapiello, qui a imaginé
ce que deviennent tous les personnages de Cervantès après le décès de Don
Quichotte. Yann Apperry est un auteur qui n’est pas assez connu, tout
simplement parce qu’il ne cherche pas à l’être, mais qui est pour moi l’une des
meilleures plumes de la littérature française contemporaine. J’aime également
beaucoup lire les journaux d’écrivains.
En ce moment, pour les besoins de la préparation
d’un prochain roman où j’évoque l’esclavage, je relis notamment Mark Twain, que
l’on ne surnomme pas pour rien le « père de la littérature
américaine ». C’est un auteur de la frontière, ni du Sud ni du Nord, élevé
dans une famille qui possédait des esclaves, et qui un jour s’est rendu compte
de cette aberration.
Plaisir de lire :
Jules Vallès, L’Enfant, 1889
Andrés Trapiello, A la mort de Don
Quichotte, Buchet-Chastel, 2005
Yann Apperry, Farrago,
Grasset, 2003
Jules Renard, Journal,
1887-1910
Mark Twain, Les Aventures de Tom
Sawyer, 1876 et Les Aventures de
Huckleberry Finn, 1884
Résilience(s)
Mon dernier recueil
poétique, La colère est une saison (www.editionstetraslyre.be), est
l’histoire d’une enfance malmenée, d’une grande colère de vie et du chemin de
résilience qui peut survenir. C’est un peu ma réponse au cheminement de ma
grande sœur vers une réconciliation avec l’enfant qu’elle n’a pas pu être.
C’est une main tendue, une invitation vers une mer calme… Je peux faire un
parallèle avec mon prochain roman, Elephant
Island, que je considère d’ailleurs comme mon livre le
plus abouti à ce jour, et dont l’écriture m’a véritablement permis de me
consoler de mon enfance.
Plaisir de lire :
Luc Baba, La colère est une saison,
Tétras Lyre, 2015
Luc Baba, Elephant Island, à
paraître aux éditions Belfond en février 2016
Et si Liège était non pas une colère, mais une saison…
Je dirais l’été. Les Liégeois ont une façon de
vivre l’été qui me plaît, on s’invente l’été à Liège. S’il y a un peu de soleil
en février, les gens sont en terrasse, ils tremblent un peu, mais on célèbre le
demi-rayon de soleil en rêvant déjà de melon et de pastèque…
… ainsi que de longues heures de lecture sur la
plage abandonnée, au bord de l’océan des lettres, avec le bruit des vagues à
l’âme, si chères à Luc Baba.
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Propos recueillis par Vanessa Herzet
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