Quand Lionel m’a parlé de son
club privé de billard, j’ai d’abord imaginé une cave en Outremeuse, à l'ambiance moitié-bowling, moitié-speakeasy. Mais celui-ci d’insister, j’ai fini par accepter : « si
si, tu vas voir, le lieu est complètement dingue. Et puis, c’est une
institution à Liège, ça existe depuis super longtemps ». J’ai beau être
une quille au billard, il n’en fallait pas plus pour me convaincre.
25B, Boulevard de la Sauvenière
Rendez-vous boulevard de la Sauvenière, à deux pas de la Cité miroir. Sur la façade du 25B, une sobre plaque m'indique que je suis au bon endroit, tandis qu'à l'étage, j'entraperçois un néon vert, indiquant en toutes lettres "Académie de billard". Si le lieu n'est pas secret, il reste à tout le moins confidentiel. D'ailleurs, c'est bien la première fois que j'y prête vraiment attention. Alors que je m'approche de l'interphone pour sonner, je suis pris de court. Je n'ai encore touché à rien que déjà, une voix métallique m'interpelle : « entrez Monsieur Jadot ». Une académie de billard ou ... le repère de Fantomas ? Le mystère reste entier.
Deux volées d'escaliers et un monument commémoratif plus tard (oui, l'Académie a ses héros tombés pour la patrie - des tireurs d'élite, I Presume), j'arrive sur les lieux. Incroyable. Moi qui m'imaginais des caves enfumées, j'arrive dans un espace d'inspiration parisienne tout simplement magnifique. Lionel avait beau m'avoir prévenu, je suis stupéfait : moulures néo-classiques aux murs, parquet ciré et verrière art-déco ... l'Académie flotte littéralement dans la lumière. Vu d'ici, je comprends tout de suite mieux l'acronyme royal dont se targue le club.
Au centre de la pièce, six tables de billard trônent fièrement, ainsi qu'une dizaine de tables au design particulier et dont la finalité m'échappe. Encore un mystère ?
Nostalgie, quand tu nous tiens
« Ce sont des tables de bridge, mais ça fait longtemps qu'on n'y joue plus ». C'est Gérard Debraz, le Président de l'asbl, qui vient à ma rencontre. A peine le temps de s'installer au bar que celui-ci s'attèle à m'expliquer l'histoire du lieu.
A l'origine, le club a été fondé en 1906 au Phare, mais rapidement, le statut nomade de celui-ci pose un problème : « c'est qu'on ne déplace pas si facilement que ça des tables de billard ». Fort de ses 400 membres (700 à son apogée), le club décide à l'époque de se structurer en société coopérative et achète le local actuel, dont il confie la décoration à l'architecte Emile Selerin. C'est ce qui explique aussi la décoration sur mesure, comme les queues de billard intégrées aux moulures.
Un peu partout, trophées, portraits et autres vestiges du passé rappellent la grande époque de l'ARLB. Aujourd'hui, les adhésions ont chuté en flèche au grand dam des fidèles et le club ne compte plus qu'une trentaine de membres réguliers. Un constat que regrette Gérard Debraz, pour qui il importe d'associer des jeunes au projet. Une relève qu'assure en partie Lionel, qui vient de nous rejoindre.
« Avec un groupe d'amis, je me suis récemment fait membre de l'Académie. Un peu par hasard au départ, puisque c'est ma fiancée qui a découvert le lieu lors d'un chantier en architecture. Elle m'en a parlé et j'ai tout de suite eu envie de le découvrir. Depuis, on est quelques potes à venir jouer les vendredis en fin de journée. L'endroit est génial, super calme et ça nous permet de vraiment nous détendre. Bien sûr, ce serait bien d'être un peu plus nombreux, mais on ne vise pas nécessairement l'affluence. C'est aussi ce qui fait le charme des lieux ».
Et c'est vrai qu'il flotte à l'ARLB un parfum nostalgique de club privé à l'anglaise. Une atmosphère que cultivent ses membres : « devenir membre est ouvert à tous, on n'est vraiment pas sélectifs, mais on souhaite quand même pouvoir préserver l'esprit du club. C'est important que l'ambiance reste sereine. Ce serait dommage par exemple de n'y voir qu'un bar ». Résultat, si l'inscription reste des plus démocratique (compter 40€ l'année, avec une intervention de la mutuelle - c'est un sport, Môôônsieur !), toute inscription ne peut être validée qu'après un parrainage de trois semaines.
Des boules, des queues, mais pas de trou
Plus que le grand âge et le charme camphré des lieux, ce qui distingue l'Académie royale liégeoise de billard d'un vulgaire pub anglais, c'est avant tout qu'on y joue uniquement au billard français. Ici, pas question de s'abandonner au plaisir coupable de tirer ses boules à grands coups de queue puisque les tables ne comportent pas de trou.
Que l'on joue Casin, 3 bandes ou parties libres, le but est d'accomplir des figures en vue de récolter un maximum de points. Au choc des billes, le billard français privilégie donc la finesse des coups et l'élégance des figures. Ici, tout est une question de précision et de réflexion et on ne joue qu'avec trois boules : une blanche, une rouge et une jaune.
Parmi les détails qui ne trompent pas, des tables en schiste chauffées et des queues lestées personnifiées. Aux murs, des rails individuels pour ranger son précieux matériel. Pas de doute, le billard français se joue jusque dans les moindres détails. Au fil de mes discussions, je ne m'étonne même pas de faire la rencontrer de Mr Lucas, professeur émérite de physique aux facultés universitaires Notre-Dame de la Paix. Décidément, c'est tout un monde qui s'ouvre à moi.
Petit à petit, les tables se remplissent, tandis que les joueurs échangent dans un calme olympien. « il faut revenir le mercredi après-midi, là, il y a plus de monde » me dit Gérard. Je lui promets de repasser, mais surtout, d'en parler autour de moi. Enfin, pas trop quand même. Un lieu comme ça, ça doit férocement rester un peu secret.
Adresse :
25B Boulevard de la Sauvenière
4000 Liège
Contact :
Académie Royale Liégeoise de Billard asbl
Gérard Debraz, Président
0475/57.17.61
gerard.debraz@skynet.be
Texte & Photos
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